Chapitre 15 - 1 : Sassa

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L'esprit embrumé, l'homme affalé sur le côté respirait comme un coureur de fond qui, pour être allé au-delà de son effort, aurait fait le pas de trop et se serait effondré. L'air sifflait en s'insinuant avec avidité dans ses poumons, son corps tremblait de faiblesse.

Le visage plongé dans l'herbe tendre, il ne pensait pas. Animalement, il s'accrochait à sa vie et ignorait le fil de pensées qui tentait de remonter à la surface.

Un filet de bave coulait le long de son menton, des larmes le long de ses joues, sans qu'il sache même s'il pleurait. Sa main gauche tentait de protéger son sexe, douloureux au-delà de toute description.

Pourquoi cela ? Il tentait de s'en souvenir, mais la raison le fuyait.

Il bougea un peu la tête, essayant de comprendre ce qui l'entourait, et sentit quelque chose de très léger qui tombait le long de sa joue.

Une main, petite, un peu potelée, à la peau mâte, entra dans son champ de vision et ramassa l'objet, une couronne tressée de fleurs noires, pour la remettre sur son crâne.

Une paire de cuisse à la peau tout aussi mâte et glabre, sous une jupe de peau, apparut, tandis qu'on s'agenouillait devant lui. La main caressa sa nuque avec tendresse.

Au prix d'un effort de volonté, il tourna la tête dans sa direction et aperçut son visage aux yeux en amandes, elle avait une peau de pêche et des pommettes arrondies. Bien ajustée sur sa chevelure aile de corbeau trônait une couronne de fleurs noires, identique à la sienne.

Elle était belle.

Il la connaissait ?

Il aurait dû la connaître. Mais encore une fois les souvenirs lui manquaient.

Elle pleurait. Lui avait-il fait du mal ?

Il tenta de lui parler, mais la force lui manqua. Il balbutia un vague murmure avant d'abandonner.

Elle l'aida à se mettre sur le dos, et plaça ses genoux sous sa tête. Elle lui caressa le front en prononçant des mots rassurant.

Il ne savait pas ce qui se passait, ce qu'il faisait là. Il ne savait même plus qui il était.

Il voulait s'endormir, mais la jeune fille ne le laissa pas faire. De sa gourde, elle fit couler de l'eau fraîche sur son visage et lui asséna de petites gifles. Il voulut s'ébrouer, mais n'en eut pas la force. Il resta là, happant l'air comme une carpe sortie de la rivière.

D'autres voix se firent entendre, autour d'eux. Des voix inquiètes, familières sans qu'il puisse mettre un nom dessus.

Il sentit une main ferme lui prendre le bras et le tirer pour le lever. Il se laissa faire, essayant de focaliser son attention sur celui qui était responsable de ce geste. Il s'agissait d'une fille, encore. Une fille à la peau noire comme l'ébène, aux cheveux mi longs, tressées, et aux yeux tout aussi sombres. Les sourcils bien dessinés étaient arqués sous l'effet de la colère. Dans sa main gauche, elle tenait une épée à la lame courte et large, et dans son dos un carquois et un arc.

A deux, elles réussirent finalement à le relever, passèrent chacune un bras sous ses épaules, et se mirent en marche.

A quelques pas, il aperçut deux autres filles. L'une était armée d'une épée courte et d'un poignard, et l'autre d'une lance aussi haute qu'elle. Elles leur tournaient le dos et menaçaient de leurs armes d'autres personnes, plus loin, à l'orée de sa vision. Il releva la tête pour voir de qui il s'agissait et découvrit toute une tribu de filles très jeunes, toutes nues, à la peau verte comme des pousses de feuilles tout juste écloses. Elles les observaient avec mécontentement. Certaines jouaient machinalement avec leur cheveux d'un vert profond, d'autres se mordillaient la lèvre avec dépit, d'autres encore effeuillaient avec rage quelques fleurs rouge-orangé, les mêmes que celles qui ornaient leur chevelure.

Elles étaient toutes belles, désirables. Leur simple vue fit naître la concupiscence en lui, lui arrachant un gémissement de douleur lorsque ce sentiment se répercuta dans sa virilité.

Quelques-unes des filles à la peau verte s'interposèrent devant celles qui le portaient, mais un feulement rauque, parvenant de derrière lui, les fit abandonner toute velléité de combat. Avec lenteur elles reculèrent puis disparurent dans la forêt proche.

Trop épuisé, l'homme abandonna.

Sa conscience s'éparpilla, naviguant à la lisière de ses perceptions, entre sommeil et délire.

Vierge de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant