Chapitre 31 - La Vierge

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La danse des braises montant dans le ciel avait un effet hypnotique. Il y avait très peu de vent, seul l'air chauffé par les flammes poussait vers le ciel les éphémères petites étoiles rouge-orange.

Dans leur dos, la jungle se tenait coite, comme par respect pour les défunts.

Assis côté à côte sur une petite élévation de terre nue, les échoués d'un autre monde contemplaient fixement les feux allumés par Abo. Elle terminait ainsi les cérémonies dédiées aux morts, détruisant dans un grand embrasement tout ce qui restait du village.

Chacun repensait aux deux jours qui venait de passer, deux jours qui avaient grandement pesé sur leur moral. Ce n'était pas seulement le fait de devoir manipuler tous ces morts, cette hécatombe leur avait trop cruellement rappelé celle qui avait endeuillé leurs premiers temps dans cet univers étrange. Les deux nuits, il avait tous les cinq dormi dans une hutte encore intacte, blottis les uns contre les autres, comme au début. Tous les six d'ailleurs, car Bagheera dormait toujours à côté d'Ève. Abo, elle, dormait dans la hutte d'Iiyabi.

Ils attendaient à présent que la vieille femme ait terminé, pour repartir de nouveau, sans savoir vraiment où. En cet instant, ils ressentaient tous un profond malaise face à la violence à laquelle ils avaient été confrontés.

Christophe, comme souvent lors des situations difficiles, parla le premier, en écho des sombres pensées qui l'avaient assailli le soir précédent. Il n'avait jamais imaginé ça comme ça...

Quoi ?

Ça, ce monde. Du moins pas ce monde en particulier, mais plutôt les univers d'heroic fantasy, ainsi qu'il les appelait. Toute sa jeunesse, il avait vécu au milieu de ces mondes étranges, les films, la littérature des grands, Tolkien, Merrit, Howard, Lee... Il y avait pensé lorsqu'ils s'étaient tous retrouvés ici, égoïstement. Mais dans ces univers imaginés, bien que le mal fut présent, il était manichéen, presque propre... du moins esthétique. Ça ne donnait pas cette envie de vomir, cette impression d'horreur profonde. Dans ces histoires romancées, le mal avait une origine autre : d'autres races, des choses inhumaines, des démons, des dieux qui instillaient la perversion dans les cœurs. « Nous, on voyait ça du point de vue des héros. Ça faisait rêver, l'aventure, le combat contre les méchants, le pouvoir de donner la mort en toute justice... J'ai tiré une flèche dans le dos d'un homme qui s'enfuyait, constata le jeune homme. Je me suis réjoui de l'avoir touché. Et j'ai été content lorsque Iiyabi l'a tué.

- Il l'avait mérité, justifia Julie.

- Et comment sait-on que quelqu'un le mérite ?

- T'as un doute après avoir vu tous ces morts ? » S'étonna Ève.

Christophe resta longuement silencieux. Kim se releva et vint s'asseoir derrière lui, tout contre lui. Elle passa ses bras autour de sa poitrine et posa la joue contre son dos, pour le serrer très fort. Elle pouvait sentir les battements de son cœur, emballé par la rage et la douleur.

« J'ai pas de remord, avait repris Christophe. J'ai juste la gerbe. J'ai l'impression que si je l'avais devant moi, je le tuerais encore. 

- J'ai lu un truc une fois, intervint Samya. Ça disait quelque chose comme : Le mal, c'est ce qu'on devient lorsqu'on oublie que nous sommes les autres.

- C'est peut-être ça qui me fait peur aussi, souffla Christophe.

- T'es pas comme eux, murmura tout doucement Kim. Aucun de nous n'est comme eux.

- Et ça nous donne le droit de les tuer ?

- Non, convint Ève. Mais si, en les tuant, on empêche qu'ils tuent ou qu'ils violent de nouveau, on doit le faire. On devient responsable si on les laisse s'enfuir alors qu'on peut les arrêter.

Vierge de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant