« Christophe ? »
Kim appelait son ami, mais il ne répondit pas. Elles avaient étendu son corps inconscient sous le grand arbre, dans le jardin en ruine. La nuit était tombée depuis un peu plus d'une heure. Elles avaient marché longtemps, sans prendre le temps d'allumer des torches. A la lueur des étoiles, elles s'étaient contentées de suivre le chemin qui s'ouvrait devant eux, au fur et à mesure de leur progression.
Une fois arrivés, Ève avait créé sa lune de lumière laiteuse, conférant à la végétation alentour un halo fantomatique.
Kim et Samya avaient été chercher de l'eau, dans le ruisseau qui bordait un des flancs du jardin, et avait lavé son corps. Après lui avoir confectionné un lit et l'avoir couvert d'une de leur couverture, elles avaient allumé un feu pour le réchauffer. Il frissonnait encore, sa température était anormalement basse et son souffle faible.
Bagheera se coucha contre lui, posa sa grosse tête dans l'herbe et ferma les yeux.
Samya regarda Kim, le corps de Christophe, puis revint vers Kim.
La jeune asiatique dénia la proposition d'un geste du menton : « Non, j'ai quelque chose d'important à faire. »
Ève, accroupie et s'appuyant des deux mains sur sa lance, contemplait le feu, les yeux embuées. Julie marchait de long en large, l'épée à la main, observant les frondaisons obscures.
Après un nouveau regard vers le jeune homme, Samya se déshabilla et s'allongea sous la couverture à son côté, se collant à lui pour lui communiquer sa chaleur.
Kim hésitait. Elle ne savait pas exactement ce qu'elle devait faire, mais elle devait faire quelque chose. Elle avertit Julie qu'elle revenait sous peu, et contourna le grand arbre. Arrivée en face du visage gravé, elle l'appela : « Sassa ? Je ne sais pas quoi faire pour aider mon ami. Il a l'air tellement faible ».
Le visage féminin aux traits nobles ouvrit les yeux et regarda Kim avec compassion : « Son fil de vie est faible. Il ne passera pas la nuit. »
La brutalité de la révélation laissa la jeune fille sans voix. Elle écarquilla les yeux, balbutia deux ou trois mots, puis l'expression d'une volonté rebelle apparut sur ses traits : « Non ! s'écria-t-elle. Non, y'a pas moyen ! C'est pas possible ! On doit pouvoir faire quelque chose !
- Peut-être... »
Julie surgit au détour du tronc : « Qu'est-ce qu'il y a ? Avec qui tu parles ? »
Kim montra le visage dans l'arbre : « Je vous ai parlé de Sassa lorsque je vous ai retrouvé, celle qui m'a expliqué comment nous protéger de l'effet sur l'esprit, grâce aux fleurs noires.»
Julie plissa les yeux pour mieux distinguer ce qu'on lui montrait. Sans lumière, elle ne pouvait que deviner sans vraiment voir, elle se rapprocha et contempla avec stupéfaction les traits qui lui souriait.
« Quelle étrange couleur de peau, s'étonna Sassa. Pourtant tu ne me sembles pas être un démon.
- Putain ! Même ici ? répondit Julie à mi-chemin entre le dépit et l'étonnement.
- Pardon ?
- Nan, j'veux dire, j'suis noire, c'est tout. Chez moi... chez nous c'est normal. Et toi ? T'es une... une magicienne emprisonnée dans cet arbre ?
- Non, je suis Sassa. Ce que tu vois est moi. Je suis l'arbre.
- Tu parles la langue des magiciens.
- Je parle cette langue et bien d'autres. Je parle toutes les langues que connaissaient mon créateur.
- Un magicien ?
- Oui. Kim ne vous a pas raconté ?
- Non, vite fait quoi, et j'ai pas trop écouté. On n'a pas eu trop de temps pour se poser, avec toutes ces putes vertes qui nous suivaient.
- Euh, intervint Kim. C'est ses amies, les filles vertes.
- Ses amies ?
- Je t'expliquerai. Mais là on n'a pas le temps de discuter de ça. Il faut trouver un moyen de sauver Christophe.
- Il dort Christophe. Il suffit juste qu'il se repose et ça ira mieux.
- Non, déclara Sassa avec calme. Les Mélines ont épuisé sa vie. Elles ne savent pas faire preuve de mesure.
- On meurt pas parce qu'on baise.
- Baise ? Elles n'ont pas fait que l'embrasser, jeune guerrière. Elles l'ont utilisé pour se reproduire. Entre leurs cuisses, les hommes ne savent plus s'arrêter. Elles les usent jusqu'à ce que leur vie les abandonnent. En général c'est leur cœur qui s'arrête en premier, mais celui de votre ami était fort.
- Qu'est ce qu'on peut faire pour lui ? Intervint Kim. Tout à l'heure, vous alliez dire quelque chose ?
- Oui, Elië utilisait une potion pour se revigorer parfois, la plupart du temps avant ses ébats avec les Mélines. Elle lui donnait des forces.
- Une potion ? Comment on la fait ?
- Qui c'est Elië ? les interrompit Julie.
- Son créateur, leur créateur, je t'expliquerai » répondit Kim, puis elle se retourna vers Sassa « Comment on la fait alors ? La potion ?
- Le long du ruisseau, il y a une petite plante avec des feuilles arrondie et des fleurs en grappes de clochettes blanches, elle s'appelle Touj. Cueilles-en une poignée et récupère leurs racines. Dans la forêt, il y a des arbres petits et rabougris, à l'écorce grise, avec de grosses feuilles épaisses, longues et pointues, ils s'appellent Jolo Olhoto. Tu devras en récupérer plusieurs morceaux d'écorces d'une longueur de main. Tu devras ensuite chercher des buissons bas, qui portent des petits fruits rouges, longs et minces, plus courts qu'une de tes phalanges, ce sont des Mahis. Tu cueilleras quatre ou cinq poignées de leurs feuilles, elles sont petites et veinées d'un vert pale. Peut-être six poignées pour toi, tu as de petites mains. Il faudra ensuite utiliser un chaudron d'Art, rempli d'eau à moitié.
- C'est quoi un chaudron dard ?
- Un chaudron pour faire le Grand Art, un chaudron de magicien. Elië en avait un. C'est en métal, il est peut-être encore en état.
- Où ça ?
- Je ne sais pas. Je partageais parfois son esprit lorsqu'il l'utilisait. Il faisait ses potions dans une petite pièce avec un brasero et beaucoup d'étagères aux murs, des étagères pleines de pots, de coffrets de bois, de petits sachets.. La fenêtre ne donnait pas sur le jardin... c'était vers l'est, je crois. »
Kim regarda autour d'elle : « Et c'est où l'est ?
- Par là je pense, dit Julie en montrant une direction vers la gauche du visage, si les étoiles sont dans la même position qu'hier.
- En effet, releva Sassa, mon visage donne vers le nord, pour que je puisse bénéficier du soleil le plus longtemps possible. Elië était plein d'attention.
- Et la potion ? reprit Julie. On fait quoi après avoir mis tout ça dans le chaudron.
- Non, il ne faut pas tout mettre. La première étape consiste à faire bouillir les écorces pendant un temps long, je dirais... un dixième du temps du passage du soleil dans le ciel, où deux si vous voulez que la potion soit très forte. Ensuite, vous utiliserez le jus pour faire infuser les racines et les feuilles, en chauffant à feu doux, pour conserver le liquide au chaud, pour une durée moitié moindre. Il ne faut pas que cela aille jusqu'à ébullition. Sinon, la potion sera gâchée.
Ensuite, il faut filtrer et il ne reste plus qu'à boire, chaud. Elië en prenait trois goulée. Pour votre ami, peut-être en faudra-t-il plus. »
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Vierge de sang
FantasyÈve courait, comme jamais elle n'avait couru. Elle sentait le terrain sous ses foulées, savait instinctivement où poser les pieds, elle était comme le vent qui file entre les arbres. Elle percevait avec une précision incroyable toutes les odeurs qui...