Leur veille s'engluait dans les épaisses profondeurs de l'attente. L'incertitude et l'anxiété plissaient les yeux des vigiles.
A l'opposé des sentiments qui les étreignaient, la nuit était claire, incroyablement claire. De là où les guetteurs avaient pris position, ils pouvaient voir toute la vallée du Dédale. Les remous de la brume qui la couvrait semblaient presque vivants, s'échappant parfois en longs bras qui s'effilochaient dans le vent. N'importe quoi pouvait en sortir à chaque instant.
L'arrière-garde kyohnis avait pris position en haut d'une chute d'eau, qui constituait le passage secret vers le Sanctuaire. La tribu unifiée l'avait utilisée quelques heures plus tôt, puis avait continué sa progression, en laissant derrière elle ceux qui étaient destinés à surveiller et protéger sa fuite. Les chasseurs possédant la plus grande acuité avaient été répartis sur toute la crête, pour avoir la vision la plus large possible sur le lit de rivière qui partait de la chute. Ce cours d'eau, très droit sur les cinquante premiers mètres, puis serpentant sur les cent suivant, était principalement constitué de rochers et de débris de bois, qui formaient des entrelacs torturés, dont les branches, souvent dénudées d'écorce, faisaient penser à quelques étranges squelettes d'animaux. Durant leur déplacement sur ce parcours, les Kyohnis avaient prêté attention à ne passer que sur la pierre vierge de mousse, pour ne laisser aucune marque, mais chacun se demandait si cela serait suffisant. Sur les quarante premiers mètres sans doute, car la brume y recouvrait encore le sol, venant y mourir comme une mer inconstante, secouée de lents soubresauts. Mais sur le reste de la distance ?
Christophe n'avait pas assisté au début de l'ascension, on lui avait raconté que les kiyés avaient transformé les bras de plusieurs guerriers en ailes, pour qu'ils puissent s'envoler et parcourir les quelques cinquante mètres qui les séparaient du haut de la falaise, là où la chute se jetait dans le vide. Là haut, ils avaient détourné le cours d'eau, grâce à un système hydraulique très ancien, qui permettait de déplacer des rochers pour assécher une cheminée peu large, pourvue de nombreuses prises taillées à même la roche. Des cordes avaient été descendues dans le boyau étroit, pour aider l'ascension des plus jeunes et des plus âgés, puis tout le reste de la tribu était passé. Ensuite, ils n'avaient eu qu'à inverser le système hydraulique, qui nécessitait la manœuvre de huit hommes pendant presque dix minutes, pour que l'eau reprenne son cours normal et dissimule la cheminée. Ils ne subsistaient aucune trace de l'ascension des indigènes, personne ne pourrait se douter qu'ils étaient passés par là, du moins personne d'humain.
Isk-hi avait expliqué qu'il existait quatre voies menant au Sanctuaire, des passages naturels que leurs ancêtres avaient masqués grâce à différents subterfuges, pour que la Vallée du Sanctuaire ne soit accessible qu'aux gens de leur peuple. La voie par laquelle il venait de passer était jadis un passage librement accessible en été, lorsque le cours d'eau était faible. Les Kyohnis des temps anciens avaient fabriqué l'écluse de pierre et son mécanisme complexe, pour détourner le cours d'eau de son lit normal et le faire inonder la cheminée en permanence. Une simple manœuvre permettait ensuite de détourner le cours dans l'autre sens, pour que toute l'eau déborde sur le vide et laisse le goulet accessible.
L'escalade de la falaise humide restait bien sûr réalisable, pour un bon grimpeur. Mais il était impossible de penser que toute une tribu pouvait accomplir un tel exploit, surtout sans laisser de traces. Isk-hi ne voyait pas comment les Akheraïs pourraient se douter du subterfuge.
La seule réponse de Christophe à cette remarque fut que les Nocturnes avaient battu les Hauts-Mages. Il n'était pas raisonnable de sous-estimer leurs capacités, et les chefs des tribus avaient dû penser la même chose, vu qu'ils avaient laissé leur arrière-garde pour s'assurer de la réussite du stratagème.
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Vierge de sang
FantasyÈve courait, comme jamais elle n'avait couru. Elle sentait le terrain sous ses foulées, savait instinctivement où poser les pieds, elle était comme le vent qui file entre les arbres. Elle percevait avec une précision incroyable toutes les odeurs qui...