Chapitre 33 - 3

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Les principes d'incantation du khohu n'était pas foncièrement différents de ceux qu'avait appris Christophe. Cependant, le fait de devoir étendre sa perception au delà de la justesse de ses gestes, pour sentir leurs effets sur ce tout ce qui l'entourait, demandait un effort de concentration important, qui perturbait la qualité de son résultat. Aëlep lui confirma que c'était en effet beaucoup plus dur, et que le talent de la perception n'était pas donné à tout le monde. C'était pour cette raison qu'il avait toujours été difficile de trouver un bon apprenti. Lui avait eu de la chance. Son père était khohu, il avait baigné dans cette harmonie dès son plus jeune âge. Son père lui disait qu'il avait un don, mais c'était parce qu'il était fier de lui. La vérité était qu'il avait bénéficié d'un apprentissage plus long qu'un jeune homme qui serait venu à la magie à l'adolescence. Pour Christophe, Aëlep pensait qu'il était trop vieux pour débuter, mais s'il avait appris aussi vite qu'il l'avait dit, c'était qu'il avait un don. Peut-être le fait d'aussi bien manipuler la langue de la magie était-il un atout important...

Toujours était-il que Christophe peinait à la tâche, mais c'était parce qu'il voulait aller trop vite, disait le vieil homme, avec son sourire naïf.

« Il faut prendre le temps, lui disait-il. Plutôt que arriver au bout du sort, essaye juste de ne faire que début d'incantation, pour bien sentir. Et baigne-toi dedans. Tu sais faire début bien. Apprends. Entre dans nature. Ouvre-toi aux gosheruhns. »

Le premier jour, Christophe était resté sur sa frustration, et Aëlep l'avait ramené au village en riant de son air dépité. Il lui enseignait dans une petite clairière éloigné, bordée par un petit ruisseau et donnant sur une combe encombrée de rochers, de laquelle s'échappait régulièrement une enivrante odeur d'humus.

Le deuxième jour, Christophe avait voulu rester dans la clairière, pour continuer son apprentissage tout seul après le départ du khohu, mais celui-ci le prit par le bras, en lui assurant que rien ne servait de vouloir trop en faire au départ. Les sens s'ouvriraient lorsqu'ils le voudraient.

Mais Christophe était pressé. Il ne savait pas combien de temps ils resteraient ici, lui et ses amies, mais il savait que cela ne serait pas éternel, et sans doute pas très longtemps après le retour d'Ève. Car ici, personne n'avait connaissance des secrets pour voyager entre les mondes. C'était ailleurs qu'il leur faudrait trouver une solution, et pour être prêt à affronter les dangers de leur périple, il se devait de maîtriser une magie efficace, plus que celle dont il avait fait preuve durant leur précédent et pathétique combat contre les Nocturnes.

Aussi, le troisième jour, lorsque Aëlep lui proposa d'arrêter l'apprentissage après trois heures d'échec, Christophe accepta, revint au village avec son nouveau maître, puis s'éclipsa après quelques instants pour revenir dans la clairière et poursuivre ses incantations. Il savait que ce genre de connaissance ne s'acquérait pas en quelques heures, il avait besoin de beaucoup plus de temps. Lui était alors venu l'idée d'utiliser les propriétés de dilatation du temps, dont il bénéficiait lorsqu'il envoyait son esprit dans sa gemme. Il avait bien sûr compris qu'il s'agissait plutôt d'une notion lié à la vitesse de la pensée, plutôt qu'une manipulation temporelle, comme si son cerveau fonctionnait beaucoup plus rapidement lorsqu'il était libéré des contingences de sa chair. Et même si la forme matérielle qu'il prenait dans sa gemme n'était qu'une représentation mentale, il pensait qu'il était possible de répéter les incantations sous cette forme.

Il lui était à présent aisé d'atteindre le cœur de l'objet magique. Avec la pratique, l'effort mental était devenu indolore et instantané. Là, il pouvait voir son propre gosheruhn, sa représentation visuelle, comme lui avait appris Ehntehag, une construction mentale formant une sphère, aux couleurs toujours changeantes, en fonction de ses humeurs et des relations qu'il entretenait avec ce qui l'entourait. Il avait appris à se concentrer pour percevoir les différentes facettes de son gosheruhn, en s'y immergeant. Il pouvait ensuite étendre sa conscience à l'intérieur de la gemme et reconfigurer le labyrinthe qui y était présent. A travers cet artifice, il accordait son être physique avec certains des éléments qui l'entouraient, de manière à les percevoir à travers ses propres yeux, lorsque sa conscience réintégrait son corps. Ainsi, il pouvait voir au delà du simple spectre lumineux, il pouvait voir les flux magiques qui baignaient l'éther, faits de couleurs auparavant inconnues. De même, il pouvait faire varier sa perception pour voir les différentes natures de flux qui liaient les êtres entre eux, ou avec ce qui les entouraient. Ehntehag lui avait montré rapidement tous ces pouvoirs, mais elle ne lui avait bien expliqué que ce qui correspondait à la perception des flux magiques : comment les flux vitaux de son corps, qui correspondaient également à une forme d'énergie, contribuaient à canaliser les flux magiques lors des gestes accompagnant l'incantation.

Vierge de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant