Chapitre 20 - 2

8 2 0
                                    

A peine une heure plus tard, ils partaient. La route ne prenait pas la direction des ruines qu'Ève avait repérées, mais ils ne doutaient pas qu'elle y mènerait. Il ne pouvait en être autrement s'il s'agissait d'une ancienne cité.

Et ce fût le cas

Divers indices leurs indiquèrent qu'ici les choses avaient été différentes des évènements destructeurs de la cité de Perduhn, où les combats de magie avaient laissé des séquelles marquantes. Les quelques ruines aux abords proches de la route semblaient avoir été épargnées par la violence, même si le temps et la nature avaient fait leur œuvre depuis. Aucune trace d'incendie, ni de squelettes jonchant le sol. Il s'agissait de construction ressemblant à des villas très étendues, accompagnées de ce qui avait dû être des dépendances. Quelques autres ruines plus massives et plus austères attirèrent leur attention. Elles avaient dû chacune appartenir à une famille noble ou à un clergé, aux vues des blasons et symboles présents.

Ils en relevèrent trois durant leur cheminement, le premier, deux bras croisés poings fermés, était représenté sur la bâtisse qui gardait le premier carrefour qu'ils croisèrent. Elle avait l'air d'une petite place fortifiée, aux murs de trois mètres de haut et d'une vingtaine de longs sur chaque côté. Les portes tenaient encore en place, alors qu'un des murs s'était effondré sous la chute d'un arbre majestueux. La végétation avait certes conquis le lieu, mais l'état intérieur faisait plus penser à un pillage qu'aux restes d'une bataille.

Le second symbole représentait le visage d'un être mi-homme mi-animal. Il était omniprésent dans ce qui devait indubitablement être le temple d'une divinité liée à la nature, d'après les fresques et statues qui l'ornaient. La statue au centre du temple était particulièrement impressionnante. Sculptée dans une pierre blanche et lisse aux pâles reflets ocres, elle figurait le corps d'un homme de six mètres de haut. Ses bras musculeux, ouverts en signe d'acceptation, étaient couverts de fourrure des épaules jusqu'aux mains, aux doigts épais et griffus, sa tête, inclinée vers la bas, portait d'imposantes cornes de cervidés, accompagnées de petites oreilles pointues assez haut placées. Son visage, aux yeux mi-clos, comportait un mufle presque plat, des pommettes saillantes et des arcades sourcilières prononcées. Sa bouche, presque humaine, était légèrement fendue sur la lèvre supérieure, et surmontait un menton discret à la petite barbiche pointue.

Sans être source de malaise, sa vision semait un trouble certain dans leurs esprits, preuve du talent indéniable de ses créateurs.

Le centre du temple ne semblait avoir que la canopée pour toit, aucun vestige d'effondrement n'était visible. Quant aux murs, ils n'étaient que décoratifs, tout était ouvert aux quatre vents, entouré et parsemé des grands arbres. De petits animaux les observaient en silence, perchés en hauteur. L'atmosphère était tellement apaisante qu'ils quittèrent le lieu avec un profond regret.

Le dernier symbole rencontré était gravé sur les portes d'une villa et représentait une lance levée devant deux ailes d'oiseau en V. Celle-ci faisait plus penser à un ensemble de villas qu'à une seule et unique construction, tant elle était étendue. Il s'agissait peut-être d'un petit village, mais le peu d'indices dont ils disposaient ne leur permettaient pas de connaître l'exacte nature du lieu.

Après avoir quitté la « villa aux ailes » comme ils l'avaient appelé, ils grimpèrent une trentaine de mètres avant d'arriver à un petit plateau donnant sur un demi-cirque imposant. La vue leur coupa le souffle.

Au centre, légèrement en contrebas par rapport à eux, s'étendait une cité dont les siècles avaient épargné la magnificence. Certes la végétation en avait conquis une bonne partie, mais elle ne parvenait pas à cacher la beauté et la grâce de certains des larges bâtiments, ni celles des gigantesques statues qui bordaient l'entrée principale et certaines des artères.

Deux colosses de pierres gardaient l'entrée qui leur faisait face, à une centaine de mètres de là. De dix mètres de haut, ils avaient, à l'instar du premier symbole remarqué plus tôt, tous deux les bras croisés devant leur poitrine, les poings fermés. Coiffés d'un casque à trois cornes, une sur chaque côté pointant vers l'arrière et une sur le haut, pointant vers l'avant, ils baissaient la tête, les yeux fermés. Pour tout vêtement, ils portaient une espèce de jupe courte à l'aspect écaillé, qui laissait voir le galbe harmonieux de leurs cuisses. Un grand sceptre était planté devant chaque d'entre eux, s'élevant entre la poitrine et les bras croisés. Il se terminait par une main dont l'index et le majeur, dépliés, parvenaient juste sous le menton de pierre.

L'entrée en elle-même était une arche majestueuse dont les deux côtés en pente étaient couverts de sculptures d'êtres humains en taille réelle, corps contre corps, les bras levés au ciel, gravissant l'édifice jusqu'à son fait, ou une dizaine de statues du double de leur taille, étaient placées en cercle et soutenaient une sphère parfaite.

Aucune enceinte ne semblait entourer la ville, les bâtiments donnant sur ce qui ne ressemblait pas à une jungle, mais plutôt à une forêt, comme s'ils y avaient toujours été mêlés.

A droite, à gauche, au centre, partout, on devinait des places, des fontaines, des sculptures, des bassins, des anciens jardins, de fiers bâtiments à l'architecture élégante, et la présence rassurante d'animaux ; Des oiseaux indolents dans le ciel clair du début d'après-midi, les bruits des insectes et des créatures arboricoles ou rampantes, les bruits familiers de la vie annonçaient que cette cité ne recelait nul danger surnaturel.

Contemplant ce panorama fabuleux, Christophe réalisa subitement qu'il retenait sa respiration. Il la relâcha en une grande expiration et échangea un regard admiratif avec ses amies. Imaginer ce que cela avait dû être jadis avait de quoi donner le vertige.

Ève leva le bras et désigna de l'index un spacieux dégagement sur l'extrémité gauche de la ville : « Il y a des bâtiments détruits là-bas. Il y a eu des combats ».

Christophe porta sa main au dessus de ses yeux pour les protéger de l'éclat du soleil.

« A quoi tu vois ça ? C'est vrai que le sol à l'air un peu chaotique, mais à cette distance...

- Je le sais. Je l'ai vu en rêve. C'est là qu'il y avait un grand temple d'Ehntehag, la déesse de la magie.

- Oh... On n'ira pas trop par là alors.

- Ouais, on va éviter » confirma Julie.

Christophe se tourna vers Ève : « T'en as vu beaucoup sur cette ville... dans tes rêves ? »

Elle acquiesça.

« Tu penses qu'il y a une partie qu'on devrait visiter plus particulièrement ? » lui demanda-t-il. Elle acquiesça de nouveau et montra la grande avenue sur laquelle ouvrait l'arche qui leur faisait face : « On va passer par là, ce sera plus praticable. Et après... je pense qu'il faudra bifurquer sur la droite. Je ne sais pas si je reconnaîtrais, mais il doit y avoir une route qui nous amènera sur les falaises, par là ». Elle désignait les parois du demi-cirque, au nord-est. Il semblait y avoir là-bas un renfoncement que Christophe n'avait pas remarqué.

D'un geste du bras, il l'invita à prendre la tête de la marche, inclinant le visage avec un demi-sourire. Elle le remercia d'un petit hochement du menton et entama la marche, Bagheera à son côté.

Christophe la regarda s'avancer. Elle était toujours aussi gracieuse, fine... belle. Un frisson glacé lui parcourut l'échine... Était-elle encore Ève ? Celle qu'il connaissait, celle qu'il chérissait comme il chérissait chacune de celles qui lui avaient sauvé la vie.

Elle se retourna et il se rendit compte que les autres filles étaient restées avec lui. Elle leurs adressa un regard interrogatif et ouvrit la main dans sa direction. Christophe lui sourit et avança, cachant du mieux qu'il pouvait cette étrange impression qui l'habitait. Plongeant son regard dans celui d'Ève, il y vit comme un écho, le doute qu'elle même essayait de dissimuler, et la peur, aussi.

Les mots qu'il avait prononcés un peu plus tôt lui revinrent à l'esprit « Je serai là »...

Il prit sa main et sentit le tremblement qui l'habitait. Elle gardait bonne figure, mais la force avec laquelle elle serait ses doigts révélait son trouble.

Christophe sourit et regarda le ciel : « C'est une bonne journée pour une ballade ».

Vierge de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant