Chapitre 40 - Trajet

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Le lendemain de la transe, Christophe repensait à ce qu'il avait ressenti durant cet étrange moment. Il partagea la description de son délire avec ses compagnons de voyage, mais il ne savait pas comment décrire correctement cette impression d'enracinement, alors que simultanément ses perceptions semblaient s'étendre, pas plus qu'il n'avait pu les comprendre. Samya et Ève le taquinèrent en imaginant son totem comme une plante, un joli pétunia, à moins que ce ne soit un plan de cannabis, ce qui expliquerait les dérives de son esprit. Mais Iyuh les avait détrompées, l'op'halë de Christophe n'était pas la manière dont il s'était perçu, en tant qu'être profondément lié à la nature, mais plutôt cette étrange créature qui lui avait parlé, pour le guider.

Christophe était d'accord, il ne fallait pas confondre, comme disait Iyuh : il était profondément lié à la nature sous toutes ses formes et pas spécialement celui des plantes, et son moi profond n'avait certainement pas cette forme. Quand à son totem, il n'avait pas à en dire beaucoup plus. Il rit avec eux en imaginant qu'il pourrait s'agir d'un gigantesque crocodile céleste, en repensant à ses quatre pattes et ses yeux ophidiens, mais il préférait que cette hypothèse reste une hypothèse. Il ne se sentait rien de reptilien. Il aurait imaginé quelque chose de plus noble, comme un dragon, mais Iyuh ne savait pas ce que c'était, ce type de créature n'existait pas sur ce monde. En même temps, les crocodiles semblaient ne pas exister non plus. Il y avait bien des serpents, mais aucun avec des pattes.

Iyuh précisa cependant que le guide spirituel qu'on pouvait avoir n'était pas obligatoirement une créature ou un plante réelle. Cela pouvait être une création chimérique, ou une pure construction de l'esprit. Il s'agissait juste d'une représentation imagée du gosheruhn. Un serpent avec des pattes lui plaisait bien dans ce sens, il trouvait ça original, mais il avait admis que cela ne collait pas avec ce qu'il connaissait de la personnalité de Christophe. Son jeune élève, bien que pas encore assez sûr de lui, se distinguait principalement par la force de son esprit. Son op'halë devait avoir un lien avec ça, une créature intelligente, mais en même temps à la volonté puissante, peut-être même obtus. Il déclara que cela pouvait aussi être un animal du pays des Ichsorihns, car là-bas vivait une faune qui n'avait rien de comparable à celle de leurs montagnes, et des créatures particulièrement intelligentes disait-on. Christophe objecta qu'il ne savait même pas que ces créatures existaient, il était plus probable que son totem fut un animal de sa connaissance, mais Iyuh le détrompa. Aucune règle de ce type ne régissait le monde des esprits, ce monde là n'était pas limité à ce que la partie consciente d'un être humain connaissait.

Restait le dragon. Christophe fantasmait sur cette idée. Avec humour, il admit qu'il avait assez d'ego pour s'imaginer inconsciemment ainsi, une créature gigantesque, puissante, armée d'une connaissance millénaire, maîtrisant tous les secrets de la magie.... L'exacte opposé de ce qu'il était dans cette réalité, le charria Ève avec un petit sourire malicieux.

Durant les jours suivant, Christophe entra en transe chaque jour, pour retrouver son guide spirituel, mais il ne venait pas à lui. Iyuh le rassura, expliquant qu'il s'agissait aussi d'une question de temps. Son guide lui viendrait lorsqu'il serait prêt. Alors en attendant, Christophe tentait de suivre l'unique conseil qui lui avait été prodigué : « ouvre-toi et découvre-toi ». Et il découvrait, chaque jour un peu plus. Il parvenait à investir chaque partie de son corps. Il commença par le cœur, le plus facile, un point de repère évident, vers lequel il était facile de remonter, grâce à ses puissantes pulsations. Puis il laissa sa conscience suivre son flux sanguin, pour remonter jusqu'à chaque organe. C'était des sensations étranges, il n'arrivait pas à comprendre totalement ce qui se passait dans chacun d'entre eux, mais il percevait des flots d'échanges, des fourmillements d'activités, il sentait la vie à l'œuvre en lui. C'était bizarrement émouvant et fascinant.

Vierge de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant