Malgré leurs efforts, les portes de la rame restèrent fermées. Ils choisirent d'emprunter le sas qui séparaient les wagons, moins dangereux que les fenêtres encombrées de bris de verre.
Ils étaient dans l'avant dernière voiture du train, et il leur sembla plus logique de passer par le dernier wagon. Celui-ci était en effet en meilleur état et l'une des doubles portes d'accès étaient déjà ouverte. La plupart des gens qui l'avaient occupés étaient dehors, aussi perdus qu'eux.
Un jeune beur en costume tenta un trait d'humour, avançant que les secours n'étaient pas prêt d'arriver. Mais cette remarque était tellement réaliste qu'elle ne fit sourire personne.
Les arbres étaient gigantesques. Christophe se demanda si c'était à ça que ressemblaient les séquoias. Ceux qu'il avait devant les yeux possédaient de longues feuilles déchirées et d'énormes lianes aussi épaisses que ses avant bras. La chaleur était lourde et humide. De grandes plantes aux feuilles démesurément larges et épaisses s'étalaient majestueusement, certaines portant de lourdes fleurs au parfum un peu entêtant. La vie semblait reprendre son souffle, tandis que des insectes de tailles impressionnantes ressortaient de leurs trous.
Kim, l'asiatique, cria lorsqu'un projectile vrombissant la frôla. Elle courut se cacher derrière Christophe en demandant de quoi il s'agissait, alarmant les autres membres du groupe.
« Bah... je sais pas trop. On aurait dit un gros scarabée » Observa le jeune homme, les sourcils relevés par le doute. « Vu ce qui nous entoure, je... je pense que sa taille n'a rien d'exceptionnel... enfin, pour le coin je veux dire ».
Il avait parlé sur un ton qu'il voulait le plus calme possible, pour dédramatiser, sans pour autant être lui-même très assuré. Il ne s'agissait pas de peur, c'était juste... de l'étonnement, cette étrange impression d'être pris au dépourvu, d'avoir ces choses sous les yeux sans vraiment comprendre leur origine, ni ce qui leur était arrivé.
Le temps de la réflexion n'était cependant pas encore venu. Il y avait d'autres wagons, et d'autres blessés.
Sur les huit voitures, les trois premières étaient presque détruites, écrasées par le choc, pliées ou éventrées. Les trois intermédiaires avaient également très souffert, mais seules les deux dernières avaient à peu près conservé leur forme d'origine.
La vision des corps mutilés était horrible. Seuls ceux qui avaient le cœur bien accroché avaient le courage de pénétrer les carcasses pour essayer d'en extirper les survivants. Mais parmi ceux-ci, certains restèrent prisonniers du métal, trop incarcérés pour pouvoir être libérés.
Christophe aidait sans se ménager, le cœur saisi d'une impression d'urgence. Les filles, leur premier malaise passé, s'étaient jointes à lui, ou pour les plus sensibles, transformées en infirmières. Il était impossible pour quiconque de rester là à ne rien faire, même les blessés légers donnaient un coup de main.
Le carnage était insupportable. Aucun d'eux n'était préparé à ça. Ils y passèrent des heures, émus à en être malade, mais incapables d'abandonner. Ils vomirent, s'évanouirent, pleurèrent... et luttèrent encore, jusqu'au bout de leur résistance et au-delà, jusqu'à ce que chacun de ceux qui avaient besoin de secours aient été aidé.
Tous ceux qui avaient pu être désincarcérés étaient allongés dehors, sur des lits de feuillages préparés à la va-vite. Ceux qui tentaient de les soigner avaient déchirés des vêtements trouvés dans les nombreux bagages pour faire des garrots et des pansements, mais c'était insuffisant pour beaucoup. Par chance, quelques voyageurs venant de l'aéroport avaient une trousse de secours dans leur valise. Même si la plupart n'étaient pas bien complètes, cela permettait au moins de désinfecter les plaies.
Quant à ceux qui restaient coincés dans les entrailles métalliques, l'inconscience constituait le meilleur refuge face à la douleur et aux heures qui s'égrenaient... Mais certains n'avaient pas cette chance.
L'impuissance ne tarda pas à se transformer en rage, puis en désespoir devant la mort de ceux qui succombaient. Cependant, il n'existait aucune solution. Les plus lucides savaient que certains des blessés ne survivraient pas, à moins d'un miracle... A moins que l'étrange phénomène qui les avait amené là ne se reproduise et n'amène une aide, ou les ramène chez eux.
Le bilan était lourd, et tellement plus réels que ceux qu'évoquaient parfois les informations. Seule une vingtaine de voyageurs s'en était sorti à peu près indemnes. Parmi la centaine de blessés, plus de la moitié l'était gravement, et beaucoup ne passeraient sans doute pas la nuit.
Quant aux morts, on en avait dénombré une soixantaine, jusqu'à maintenant. Pour la plupart il s'agissait des gens des premiers wagons.
Une seule personne avait été sortie miraculeusement intacte, de la voiture de tête. Elle s'appelait Asha, une mince et belle femme, d'origine africaine. Mais elle était incapable de se souvenir de quoi que ce soit, trop choquée pour se remémorer les instants précédents l'incident.
Une hécatombe.
Les journaux avaient tort lorsqu'ils parlaient de catastrophe. Ils énuméraient les chiffres, ils affichaient la douleur, l'étalait pour mieux la vendre, mais ils ne permettaient pas d'appréhender ce dont il s'agissait vraiment. Ou alors peut-être ne pouvait-on comprendre sans être de ceux qui y survivaient.
Christophe réalisait cela, contemplant l'ampleur de son désarroi et celui qu'il ressentait autour de lui. Dans ce camp de fortune qu'ils avaient établi, juste à côté des deux dernières voitures, les visages étaient défaits, sales, souvent marqués de sillons laissés par les larmes.
Ils venaient de ramener les derniers blessés transportables. Un silence lourd s'était abattu. Seuls les bruits de cette nature étrangère venait interrompre le vide qui s'était installé en eux. Le chant d'oiseaux inconnus et le bruissement des feuilles se mêlaient aux toux et aux râles. Un frisson de malaise se propageait, qu'ils n'arrivaient pas à dissiper.
L'abattement, le doute, et la peur.
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Vierge de sang
FantasyÈve courait, comme jamais elle n'avait couru. Elle sentait le terrain sous ses foulées, savait instinctivement où poser les pieds, elle était comme le vent qui file entre les arbres. Elle percevait avec une précision incroyable toutes les odeurs qui...