Ève se mordait les lèvres. Elle avait peur.
En voyant Christophe accepter la proposition d'Iyuh, elle avait voulu le dissuader, ou au moins le prévenir. Mais elle n'en avait pas eu le courage. Elle aurait dû expliquer pourquoi, elle aurait dû lui raconter ce qui c'était passé, ce qu'elle avait fait... Ève détestait celle qu'elle avait été sous l'influence de la magie du kiyé. Elle n'était pas cette Vierge de Sang vengeresse qu'ils avaient porté aux nues. Mais elle l'avait été, durant ces horribles minutes où la rage l'avait habitée. Elle avait tué sans merci, et elle en avait été soulagée. Et c'était ça le plus horrible, la paix qu'elle avait trouvé en mettant à mort ces monstres humains, ces tortionnaires qu'ils avaient poursuivi, le soulagement après la furie.
Après s'être lavée, seule, dans une rivière à l'eau glaciale, elle avait prié Aorila, parce qu'elle voulait comprendre, elle voulait trouver le pardon, parce qu'en ces instants elle ne se supportait pas.
Et l'esprit d'Aorila était venu à elle. La déesse lui avait expliqué que ce qui c'était exprimé durant ce combat était aussi une partie d'Ève. Une partie d'elle que la magie kyohnis avait révélée. Elle pouvait ne pas l'aimer, elle se devait de la contrôler, mais c'était une partie d'elle. La magie n'avait fait que supprimer les chaînes qui retenaient cet aspect de sa personnalité. Cependant, elle ne devait pas se condamner, car une partie du sacrifice des Vierges Guerrières était aussi cela, accepter d'être le bras violent de la justice, et en souffrir, parce que la bonté ne pouvait aimer cet excès. Mais il fallait que quelqu'un le fasse, souffre ce martyr en connaissance de cause, parce que le mal ne peut pas être combattu par le pardon. Le pardon était le soin de ceux qui peinaient, pour dépasser leurs maux. Le pardon pouvait aussi être une bénédiction, pour ceux, parmi les agents du mal, qui y étaient accessibles. Mais il n'appartient pas à l'agent du bien de faire ce choix pour eux. Ceux qui faisaient souffrir devaient être punis, parce que c'était ce que réclamait l'équilibre. C'était la voie de la justice.
« La création n'a rien d'idéal, lui avait assuré la déesse, par la voix bien connue d'Ameratë. La justice n'existe pas naturellement. C'est à nous qu'il revient de la faire exister. A nous, et à toi. C'est un lourd fardeau, je comprends ta douleur. Mais ne te juge pas à l'aune du sang que tu verses. Juge-toi à celle du sang qui ne sera plus verser grâce à toi.
- Est-ce que cela signifie que je dois accepter leur magie ? Accepter de devenir une tueuse qui trouve la paix dans la mort de ses ennemis ?
- Non. Cette magie n'est pas la nôtre. Tu l'as demandée par ignorance. Maintenant tu sais.
- Est-elle mauvaise cette magie ?
- Non. Elle est équitable. Mais ce n'est pas une magie qui pousse vers l'élévation, vers l'amélioration de l'être. C'est une magie d'acceptation, c'est la magie de la nature.
- Alors c'est bien ?
- La nature n'est pas bonne. Elle est neutre. C'est en cela qu'elle est équitable. Elle peut être douce, comme elle peut-être cruelle. Ce n'est pas ce en quoi nous croyons, nous, n'est ce pas ?
- Non... Je me sens mal.
- Je sais mon enfant. Et c'est une bénédiction. Protège et aime, et tu trouveras l'apaisement. »
Ève avait fait ce qu'elle avait pu pour protéger ceux qui les entouraient, elle les aimait aussi, plus ou moins. Certains étaient vraiment bons et attiraient son affection. Comme Akibi, qui souffrait tellement. C'était pour elle qu'Ève était là, et qu'elle avait emmené Christophe. Ève avait confiance en lui. Il doutait de sa force, mais elle savait que c'était grâce à lui qu'ils s'en étaient tous sortis jusqu'à présent. Il était intelligent, il trouvait des solutions, et surtout il leur apportait sa volonté, c'était elle sa force.
Mais là, elle avait peur pour lui. Elle ne voulait pas qu'il utilise une magie neutre, qui pouvait faire le bien ou le mal en fonction des circonstances. Elle voulait qu'il reste l'homme bon qu'il était, l'homme qu'elle aimait comme un ami cher. Elle devait le protéger alors, mais elle ne devait pas l'empêcher de faire ses choix, cela aussi était vrai. Iyuh avait dit qu'il se trouverait peut-être par le biais de cette transe mystique. Mais si elle n'aimait pas ce qu'il trouvait ?
Christophe l'avait accepté elle. Elle s'en souvenait. Elle se rappelait du jour où elle avait eu besoin de son soutien et qu'il avait répondu présent. Elle se souvenait qu'il lui avait pris la main en regardant le soleil se lever, un geste d'affection simple, qui avait donné à Ève le courage de continuer dans sa voie.
Elle devait l'accepter lui alors, quel qu'il soit, tel qu'il se découvrirait.
Mais elle avait peur, pour lui, pour eux.
Elle priait.
Quand soudain, après un temps qui s'était étendu en longueur, avait semblé durer des heures, Christophe sortit en titubant du ventre de l'arbre à moitié mort. Il avait des yeux rougis par la fumée, qui pleuraient abondamment, alors que lui même avait un air un peu halluciné. Les émotions d'Ève restaient dans l'expectative, en attente de ses mots. Et lorsqu'il prit une moue dubitative pour dire « Putain... j'ai rien compris », ce fut si naturel, si dénué de malice, qu'elle en rit. Et même s'il n'y avait là aucun indice sur le côté dont pencherait la balance de son ami, elle se sentait soulagée. Intuitivement, elle sentait qu'il était resté le même.
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Vierge de sang
FantasyÈve courait, comme jamais elle n'avait couru. Elle sentait le terrain sous ses foulées, savait instinctivement où poser les pieds, elle était comme le vent qui file entre les arbres. Elle percevait avec une précision incroyable toutes les odeurs qui...