Chapitre 36 - 3

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Le plan d'Ève avait foiré, magistralement foiré. Vouloir tromper le tueur ailé en simulant une animosité entre les deux fauves avait été une erreur. L'effet avait pourtant été convaincant, lorsque le fauve enchanté par les Nesqs s'était échappé de sa cage, comme enragé, pour attaquer Bagheera, qui s'était enfuie dans la jungle après un échange de coup. En toute logique, Ève était partie sur les traces de son amie à fourrure, tandis que l'autre fauve disparaissait dans la jungle. En apparence, Ève était seule, une bonne cible pour le monstre. Mais il ne s'en était pas pris à elle.

A présent, les larmes aux yeux, elle contemplait Christophe, penché au-dessus du corps inanimé de Julie. Il avait sa main droite posée à plat sur le sternum de leur amie et fermait les yeux, le front plissé dans une concentration qui faisait saillir les veines de ses tempes.

Du sang s'écoulait du bras gauche du jeune homme, là ou saillait un os blanc brisé, du sang s'écoulait des multiples griffures qu'il avait subies, du sang s'échappait des plaies des fauves. Mais aucun sang ne s'échappait plus du corps de Julie.

Pourquoi la noire créature s'en était-elle prise à son amie ? Elle n'avait même pas participé à l'expédition contre les Shoakss !

Était-ce de l'égocentrisme, penser que c'était elle-même la cible principale ? Où était sa mise en scène qui avait été lamentable ?

Heureusement, Bagheera avait senti quelque chose, elle s'était sentie appelée par l'Ossiro, le fauve dans lequel les Nesqs avaient insufflé l'âme de leurs esprits gardiens. Elle et les trois khokuhns n'avaient eu qu'à suivre, rencontrant Samya sur le chemin. Les quatre archers avaient eu un effet décisif. Ève, elle, avait mésestimé sa force. Elle pouvait battre n'importe quel homme. Mais ce monde était peuplé de choses bien plus fortes qu'un homme.

Elle se sentait coupable. C'était elle la gardienne de son groupe d'amie, elle l'élue d'Aorila qui devait protéger les autres. Elle avait pensé pouvoir gérer le problème, l'impression de toute puissance qu'elle avait eue était un mensonge, une erreur. Elle aurait dû demander conseil à ses amies, leur en parler. Elle se haïssait.

Et que pouvait-elle faire à présent ? Elle ne pouvait pas ramener Julie à la vie. Si elle avait pu ramener Christophe, la première fois, c'était parce que la déesse était là, cela faisait partie de la cérémonie.

« Je peux faire battre son cœur, déclara soudainement Christophe. Je peux soutenir sa vie. Mais pour cela, il faut que ses organes soient réparés. Ève, le peux-tu ? »

Ève se tut, incapable de dire non. Elle cherchait une solution, dans la foi.

« Moi, je peux, affirma le kiyé, tout juste arrivé sur les lieux. Si blessure fraîche.

- Fais, demanda Christophe. »

Iyüh s'agenouilla de l'autre côté du corps de Julie. De son couteau, il s'ouvrit la paume des deux mains, puis les frotta l'une contre l'autre, devant son visage, en soufflant dessus, avant de les appliquer sur la plaie.

« La vie apporte la vie, déclama-t-il. La vie suit le chemin. Le corps est infini, le corps est un. Chaque partie au tout s'unit, chaque partie suit son destin. »

Tout bas, les yeux fermés, Iyüh psalmodiait les paroles de son incantation, encore et encore, se balançant d'avant en arrière lentement. Graduellement, il semblait devenir de plus en plus pâle. Isk-hi, un des khokuhns, se plaça à côté de lui, et le recueillit lorsque, devenu livide, il s'effondra mollement sur le flanc.

Durant tout ce temps, Christophe était resté au-dessus du corps de son amie, la main sur son plexus solaire. Il y avait comme des ondes de chaleurs qui ruisselaient le long de son bras, jusqu'à Julie.

« Les blessures ne sont pas closes, mais les organes sont réparés, analysa l'homme vert. Son cœur bat seul à présent. Elle vit.

- Qu'es-tu devenu ? s'inquiéta Eve.

- Je suis un, et je suis une partie du tout » lui répondit-il, en écho des paroles du kiyé

Puis il se releva et prit son poignet gauche de sa main droite, et lentement il commença à tirer dessus. Sous les yeux effarés des témoins, les chairs autour de la plaie s'écartèrent et mirent la fracture à nu. Samya détourna le regard et s'écarta, alors que les morceaux d'os brisés se réalignaient, et que les tissus, comme une multitude de fins serpents, se refermaient et fusionnaient.

La peau se souda ensuite, ne laissant plus qu'une petite plage rose vif, là où la blessure avait pris place. Christophe tituba, puis se ressaisit.

« Je vais devoir partir à présent, je suis faible. Je dois me plonger dans le cœur de la forêt, pour récupérer. Je dois m'immerger ».

Un choc violent le cueillit sur le haut du crâne, et il s'effondra, inconscient. Derrière-lui se tenait Samya, une massue à la main.

« Non, déclara-t-elle, tu dois dormir. »

Vierge de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant