Chapitre 9 : Amoureuse

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Le froid avait réveillé Christophe, ou presque. Il émergeait à peine, gêné par une désagréable impression de courant d'air en bas du dos. Il bougea un peu, se protégeant tant bien que mal sous sa portion de duvet et s'enfonça de nouveau dans le sommeil.

Le feu n'était plus que braise, la nuit encore noire.

Ils étaient tous les cinq tassés les uns contre les autres sous leurs deux malheureux duvets. Une couverture usée leur servait de drap de lit au dessus de branchages feuillus, alors que la température était devenue plus que fraîche.

Kim, la plus petite avait été placée au centre, entourée de Julie et Samya. Ève et Christophe pour leur part se partageaient les extrémités. Au détail près qu'Ève avait une fourrure nommée Bagheera pour lui réchauffer le dos.

A demi conscient, Christophe ramena tant qu'il pouvait ses deux tee-shirts sur ses reins et se serra un peu plus contre le dos de Samya. Avec un petit soupir d'aise, il enfouit son visage dans la chevelure qu'elle avait défaite. Elle avait une odeur agréable, qui accompagnait son plongeon vers des rêves déconstruits. Cette odeur lui rappelait un peu celle de la première fille qu'il avait aimé, bibliquement parlant. Il revoyait les images de leurs premiers baisers, de leur course hilares dans un parc, avec un roquet furieux qui les poursuivait, et de cette première fois près du canal, dans les herbes hautes. C'était un ...

Une petite claque sèche sur l'épaule le réveilla subitement.

Samya le regardait avec des yeux ronds, une moue plus amusée qu'outrée sur le visage.

Christophe lui retourna un regard surpris, émergeant peu à peu, jusqu'à ce qu'il réalise avec stupeur qu'il était collé contre elle avec une érection digne de ces plus belles matinées. Il prit un air penaud, avec un geste de la main pour excuser les aléas de la nature, et elle répondit en opinant du menton, la bouche en coin, peu convaincue. Elle ne pouvait cependant résister au sourire qui gagnait ses lèvres et se retourna pour le cacher au jeune homme, reprenant sa position sur le flanc et serrant au passage un peu plus ses fesses contre l'aine de Christophe.

Il resta interdit plusieurs secondes, les yeux écarquillés, se demandant quel jeu elle jouait là.

Et puis finalement... boh... Il reprit lui aussi sa position, au chaud contre elle.

Mais ses pensées étaient maintenant plus près du présent. C'était une fille réelle qu'il avait contre lui, et elle semblait apprécier sa présence masculine. Il avait la main sur son bras, sa peau douce sous ses doigts.

Quelle étrange situation... collé à elle alors que les autres filles étaient juste là. Cela avait quelque chose de délicieusement excitant. Ces pensées dérivèrent, il imagina ce qu'il pourrait faire, ce que tous deux pourraient faire, là, juste à côté des autres, dans le silence paisible de la nuit. Et il se surprit à en sourire, en imaginant le ridicule de la situation lorsque les filles se réveilleraient sous les contrecoups de ses mouvements, lorsqu'ils ne pourraient plus contenir la violence de son désir. Il en rit même, malgré les fermes rondeurs de Samya contre lui.

Il en rit, dépité de sa propre stupidité. Imbécile...

Et comment s'endormir à présent ? Avec tous ces délires dans la tête.

Il se leva du plus doucement qu'il pouvait et reposa le tissu sur Samya.

Assis, coude sur les genoux, il regarda en frissonnant les braises à peine rouges, puis décida de raviver le feu sans faire trop de bruit. Il attisa le foyer avec des gestes mesurés, et prit les plus gros morceaux de branches qui restaient pour les déposer avec précaution.

Finalement, de l'autre côté du feu par rapport aux filles, il se retourna pour présenter son dos aux flammes. Au loin, la deuxième lune, la plus grosse, se couchait derrière les montagnes. Elle était beaucoup plus grande que celle de la terre. Il se dit que s'il y avait des mers sur ce monde, les marées devaient être particulièrement hautes, une de ses pensées qui surgissent et s'en vont, sans raison particulière.

« Chris ? » Samya était là, juste derrière lui, l'interpellant d'un simple murmure.

« Tu dors pas ? lui répondit-il.

- Il fait froid ». 

Elle vint à côté de lui, contemplant à son tour le spectacle de cet astre gris-mauve qui plongeait derrière l'inconnu.

« Pourquoi t'as fait l'amour avec Julie ? Tu l'aimes ? »

La question ne le surprit pas. Non pas qu'il s'y soit attendu, mais il ne cherchait pas à anticiper sur ce qu'elle voulait. Il se contentait d'accepter ses interrogations.

« Non... C'est juste que j'étais... attiré par elle à ce moment là.

- T'as profité d'elle alors ? ... C'est ...

- Non... Il n'y a pas de profit si les deux personnes font ce qu'elles désirent. Le sexe c'est... Autant c'est magnifique quand c'est fait avec amour, autant c'est bien quand c'est fait simplement par désir. Enfin, je veux dire quand les deux personnes le désirent.

- Ça va être compliqué pour toi ».

Il en sourit : « C'est supportable. T'en fais pas. Il y a des choses bien pire dans la vie.

- Et si jamais on tombe toutes amoureuses de toi ». 

Il déglutit, cherchant par quel bout prendre le sujet.

« Et toi Samya ? Ça fait deux fois que t'abordes le sujet. T'es amoureuse de moi ? Comme ça ? Déjà ?

- Je sais pas. J'ai des sentiments pour toi, mais je sais pas ce que c'est... ... j'suis bizarre hein ?

- Non. Non... loin de là ».

Elle se rapprocha de lui et dit d'une toute petite voix peinée : « J'ai envie que tu me serres dans tes bras ».

Il lui fit face et l'attira contre lui, pour la serrer avec chaleur et tendresse, loin des sentiments qui exacerbaient sa libido quelques minutes plus tôt.

« Tu m'aimes pas alors ? » demanda-t-elle dans un murmure.

Il prit le temps d'une pause, un soupir court.

« Je vous aime toutes. Toi autant que les autres c'est vrai. Mais je te jure que c'est pas une ... bête amitié.

L'amour c'est étrange. C'est vrai qu'on peut pas le contrôler vraiment, mais on peut l'étouffer en partie. Si je me laissais aller, peut-être que je tomberais amoureux de l'une d'entre vous... sans doute. Mais je ne sais honnêtement pas sur laquelle se porterait mon choix. Vous avez toutes vos propres qualités, vous êtes belles... Et moi... je peux pas me laisser aller. »

Elle eut un petit rire désabusé qui ne la convainquit pas elle même : « De toute manière, c'est pas grave. Je t'aime pas vraiment... »

Son souffle était profond et s'écoulait le long de son épaule, elle serrait ses bras étroitement autour de sa taille. Il n'y eut pas d'à-coup lorsqu'il sentit une pointe d'humidité traverser ses tee-shirt, pas de sanglots. Des larmes qui coulaient lentement et qui le touchaient mieux que l'aurait fait un cri.

« Serres moi fort s'il te plait » le pria-t-elle en parvenant à maîtriser sa voix.

Et il l'enserra avec toute la tendresse dont il était capable, bouleversé par ces étranges sentiments qu'elle mêlait en lui. Les yeux dans les flammes il fixait la danse chaotique du brasier, en écho à ses pensées.

« Heu ? Qu'est-ce que c'est ? reprit-elle subitement avec un ton d'incompréhension.

- Hein ? Quoi ?

- Là-bas, montra-t-elle en pointant du doigt. C'est de la lumière non ? »

Il mit quelques secondes à ajuster sa vision nocturne, dos au feu, et finalement perçut le halo dont elle parlait : une faible luminosité, présentant quelques éclats intermittents. Elle marquait le haut d'un col, loin vers l'ouest, ou plutôt ce qu'ils avaient décidé être l'ouest.

« Merde.... Ça peut pas être la seconde lune, constata-t-il, elle vient de se coucher derrière l'autre montagne par là ».

Vierge de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant