Vierge de sang

Chapitre 50 - 2

Le reste du chemin jusqu'au Sanctuaire se déroula dans un silence prudent, comme si l'action des statues avaient rappelé à chacun que pénétrer dans un lieu saint n'était pas chose commune, ni un dû. Ce lieu ne leur appartenait pas, ce lieu les acceptait, et c'était une différence qui leur rappelait l'humilité nécessaire.

Personne n'avait commenté ce qui était arrivé à Julie, ils se disaient qu'ils en parleraient plus tard. Cependant, passé le dernier virage du col, l'intérêt pour cette conversation sortit de l'esprit de Christophe devant le panorama qui s'offrait à eux.

Sans en prendre conscience, le jeune mage avait imaginé le Sanctuaire comme un grand temple, une construction majestueuse dans une petite vallée. Mais ce qu'il avait devant ses yeux était tellement phénoménal qu'il en resta sans voix. Il croyait avoir vu ce qu'il y avait de plus incroyable, avec la vallée Sacrée dans laquelle se situait le temple du Passage. Il était loin du compte.

La vallée du Sanctuaire n'avait rien de petit, elle reposait sept cent mètres plus bas, faisait presque vingt kilomètres en son point le plus large et sinuait dans différentes directions, suffisamment vaste pour que plusieurs tribus y vivent sans se gêner. Seul l'aspect gigantesque des montagnes qui l'entouraient permettait de l'envisager comme une simple vallée. Le plus impressionnant cependant, était que la nature y semblait magnifiée et pourvue de dimensions à l'avenant des à-pics vertigineux qui l'entouraient. Si Christophe avait cru que l'arbre abritant le temple du Passage ne pouvait être qu'unique, ce qu'il avait sous les yeux le détrompait indubitablement. De nombreux arbres qu'on aurait pu croire quasi kilométriques s'élevaient dans la vallée, à une distance respectable les uns des autres. Dans la plupart des cas ils étaient au centre d'un large lac aux eaux rutilantes et d'épais bras d'eau reliaient les lacs entre eux. Les larges cours d'eau s'éparpillaient également en nombreuses ramifications, sur les bords desquels s'épanouissait une flore généreuse et colorée.

Chose étrange, chaque arbre disposait d'une sorte de couleur principale, ocre, bleu pâle, roux-orangé, vert, vert-bleuté, rouge même, avec de légères variations de teinte en divers endroits de son feuillage. Toute la végétation qui poussait autour d'un de ces dieux végétal était colorée à l'avenant, avec des variations, atténuations ou déclinaisons, harmonieuses. Quant à la flore qui séparait les lacs, ses teintes résultaient d'un mélange de couleurs, influencé par celles des arbres géants, proportionnellement à la distance qui les en séparait. Le décor final formait un tableau stupéfiant et merveilleux.

Un point commun semblait cependant relier les teintes de la vallée, chaque gigantesque arbre croissait sur une sorte d'îlot rocheux d'un blanc nacré, dans lequel les titanesques racines de bois creusaient des sillons sombres.

« Ahnteyuë » murmura Aëlep avec respect, à quelques pas de Christophe. Il se rapprocha de lui et montra les colosses végétaux « ce sont les rois de la vallée. Ce sont eux qui déterminent les lois.

- Je ne comprends pas, avoua le jeune homme.

- Tu comprendras, lui assura son maître chamanique. Allons maintenant, il nous faut rejoindre notre Sanctuaire, dit-il en pointant du doigt une des ramifications de la vallée. La nuit est dangereuse ici.

- Je croyais que c'était la vallée, le Sanctuaire ? S'étonna Christophe.

- Oui, c'est vrai.

- Un sanctuaire n'est-il pas censé être sans danger ?

- Non... Pourquoi le serait-il ? C'est un lieu saint, le plus saint de tous. Mais c'est un lieu de vie, surtout. Et là où il a la vie, il y a la mort.

- Oh... »

Christophe avait pris l'habitude de ce genre de remarque sibylline. Il se contenta donc de suivre le vieil homme, tout en se préparant à écouter la leçon qui n'allait pas tarder à suivre.