Chapitre 18 - 2

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L'aube pointait.

Le rose-orangé des nuages nuançait le bleu profond du ciel, les étoiles palissaient, disparaissaient une à une. Les premiers chants des oiseaux se faisaient timidement entendre, tandis qu'une brume éparse s'effilochait langoureusement.

Christophe, assis dos à un arbre, cueillit une goutte de rosée sur une plante rase et la porta à sa bouche. Elle avait un goût discret sur lequel il n'arrivait pas à mettre d'adjectif. Il ne savait pas trop quoi penser. Son cerveau tournait à vide.

Il faisait un peu plus frais maintenant mais il n'avait pas froid. Il était fatigué. Il appuya sa tête contre l'écorce dure, chassa une des mèches de cheveux d'Ève qui collait à sa joue et ferma les yeux. La jeune fille, elle-même adossée contre lui, jouait machinalement avec une feuille orpheline.

Elle avait terminé le récit de son rêve quelques minutes plus tôt. Depuis, le silence s'était installé.

Personne ne dormait.

Ève avait tenté de traduire fidèlement ce qu'elle avait vécu, mais à l'énoncé des événement chacun avait compris qu'il leur était impossible de vraiment appréhender ce qu'elle avait ressenti.

Ève faisait preuve d'une force qui leur imposait le respect. Lorsqu'elle abordait un passage trop difficile, elle s'arrêtait et respirait profondément. Des larmes apparaissaient de nouveau sur le bord de ses yeux noisettes, mais elle reprenait, comme si elle voulait tout faire sortir.

Ils n'avaient pas posé de question. Elle avait besoin de parler, ils avaient écouté.

Et ils étaient tous là maintenant, la gorge nouée.

Christophe était inquiet. Ce n'était pas un délire, pas une histoire inventée. Que l'histoire soit vrai ou non n'était pas la question. Quelqu'un l'avait envoyé dans les rêves de leur amie, avait transformé ses nuits en cauchemar.

Le jeune homme passa son bras autour des épaules d'Ève pour la serrer contre lui, et embrassa ses cheveux.

« Elle veut quelque chose, déclara-t-il sur un ton bas.

- Tu crois que c'est Aorila aussi ? demanda Julie.

- Ça semble la réponse la plus évidente pour l'instant, répondit-il.

- Tu crois qu'elle a fait venir Ève ici pour une bonne raison ? » poursuivit-elle.

Christophe resta dubitatif un instant.

« J'irai pas jusque là, exprima-t-il finalement. Je ne sais pas qui ou quoi nous a vraiment fait venir ici. De prime abord, j'aurais dit que c'était Asha. Mais... comment dire... Disons de deux choses l'une : soit c'est Aorila qui a causé notre venue ici, auquel cas les rêves sont des mensonges, soit notre venue et les rêves sont deux éléments distincts, et les rêves reflètent peut-être une certaine réalité.

- Pourquoi tu dis-ça ? » s'étonna Julie.

Ève restait silencieuse.

« Parce que, reprit Christophe, si Aorila est la déesse que décrit les rêves d'Ève, la protectrice du peuple, la gentille déesse qui aide les gens, qui n'hésite pas à sacrifier son clergé pour sauver le monde, alors elle ne serait pas du genre à manipuler des personnes comme Asha, à causer la mort de tant de voyageurs juste pour emmener une petite Ève jusqu'à son monde.

- Et si justement, releva Samya, c'était pour sauver son monde. Elle a pas hésité devant la mort de deux mille filles la première fois. Cent cinquante voyageurs, c'est pas grand chose à côté.

- Bein... elle se serait contentée de l'amener juste elle, proposa Christophe avec peu de conviction. Non ?

- C'est pas dit. Peut-être que ça se fait pas comme ça et qu'il n'y avait pas d'autre moyen.

- C'est possible, admit-il.

- C'est quoi un clergé ? demanda Kim.

- Et qu'est ce que j'aurais d'aussi important ? s'étonna Ève. Je suis personne.

- T'es pas personne, la reprit Christophe.

- Tu es notre Ève » compléta Samya.

Ève sourit faiblement : « C'est gentil.

Et en même temps, t'es peut-être plus, releva Julie. T'es peut-être Ameratë...

- Je crois pas, la contredit l'intéressée. Je sais pas... je sais pas pourquoi, mais je le sens pas comme ça. Même si dans mes rêves j'étais elle, ... c'était plus comme... j'en sais rien... J'ai pas envie d'être elle ».

Christophe ne vit pas ses yeux briller à l'énoncé de ces mots, mais il sentit son frisson. Il la serra un peu plus contre lui et posa sa joue contre sa chevelure, au moment où Kim redemandait : « C'est quoi un clergé ? ».

Voyant la tristesse s'emparer de nouveau d'Ève, Julie s'empressa de détourner la conversation : « Vous pensez qu'on va en rencontrer des... des gens des autres races ?

- Des Nocturnes ? demanda Samya.

- Bein entre autre, des Nocturnes, des gros trucs à quatre bras là, des insectes géants...

- Les Nocturnes, Dado en a parlé à plusieurs reprises, répondit Christophe. Ils chassent dans les montagnes parce que les humains viennent chercher des trésors dans le coin, où peut-être chassent-ils aussi les tribus sauvages qui habitent dans les vallées... il y a des chances qu'on croise leur chemin.

- Et on fera comment ? s'inquiéta Samya.

- On se fera tout petit, indiqua Christophe. Au départ, je me demandais aussi s'ils étaient du genre zombis méchants et stupides. Mais d'après ce qu'à raconté Ève, c'est pas le cas, ils ne sont pas stupides. Et en plus ils connaissent la nature. Si jamais on en croise vraiment... »

Christophe laissa la fin de sa phrase en suspens. Il ne voyait même pas comment ils pourraient s'en sortir. Rien que d'imaginer devoir combattre un chasseur expérimenté en milieu naturel, de deux mètres de haut, à tendances cannibales, ils en avaient des sueurs froides. Et ils ne se baladaient certainement pas seuls...

« Bien joué ! se reprocha Julie à haute voix. Non seulement Ève est toujours aussi triste, mais tout le monde balise maintenant. J'aurais mieux fait de fermer ma gueule moi... ».

Kim s'agenouilla à côté de Christophe : « C'est quoi... ».

Plongée dans ses réflexions, Ève l'interrompit en déclarant subitement : « Ce sont des Nocturnes. Ils n'aiment pas la lumière !

- Le sort ? » avança Christophe.

Elle se redressa un peu et le regarda dans les yeux : « Ça peut marcher non ? S'ils n'aiment pas le soleil ?

- Bé... va falloir qu'on améliore un peu la puissance alors.

- Et le temps qu'il vous faut pour le lancer aussi, précisa Samya.

- Ça... ça risque d'être plus difficile. Mais on peut essayer.

- Mais vous n'aurez pas le droit à l'erreur, leur rappela Julie. Si on n'utilise pas de magie, peut-être qu'ils ne nous tueront pas. Mais si vous en utilisez... ils détestent visiblement les magiciens plus que tout autre chose. »

Un court silence accueillit cette déclaration.

« C'est qu... » commença Kim, la main sur l'épaule de Christophe, en même temps que celui-ci déclarait : « Disons qu'on n'utilisera la magie seulement si la rencontre dégénère en comb... Aïe !! » Une violente douleur au bras l'interrompit brutalement. « Hé ! Pourquoi tu me pinces comme ça Kim ? »

Avec un sourire innocent, celle-ci demanda : « C'est quoi un clergé ? ».

Vierge de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant