Vierge de sang

Chapitre 45 - 3

Christophe courrait à petite foulée souple, juste derrière Kim. Les paroles d'Inüh raisonnaient à ses oreilles. Il l'avait regardé, lui, lorsque le chef des Nesqs avait parlé de l'homme Vert. Pourtant, il n'était pas celui-là, il n'était pas un de ces élus dont leurs légendes parlaient. Il avait pensé que ce quiproquo s'était dissipé, après avoir expliqué que son état avait été dû à une mauvaise utilisation de sa gemme magique. Mais il avait eu tort. Rien n'était dissipé. Ou alors, le chef des Nesqs pensait que Christophe pouvait de nouveau atteindre cet état, ce qui voulait dire qu'il avait parlé avec Aëlep...

Ils couraient à cinq, suivant une stratégie proposée par les khokuhns. Avec Kim et Christophe, il y avait Akibi, Neïna, une jeune cueilleuse, et Soluhn, un chasseur expérimenté. La tribu était partie du village en formant une grosse colonne, mais voyageant léger, portant le strict minimum. Au fur et à mesure de la progression, de tout petits groupes s'écartaient, à chaque fois qu'ils croisaient un environnement propice à la dissimulation des traces, un court d'eau, une zone marécageuse ou très rocheuse. L'objectif était de laisser une piste importante que les Akheraïs pourraient remonter, en émiettant la colonne petit à petit, pour qu'à la fin ne subsistent dans celle-ci que ceux qui pourraient ensuite semer leurs poursuivant, c'est à dire les gardiens et les meilleurs chasseurs. Les plus lents avaient été écartés de la colonne en premier, avec les khokuhns derrière eux pour faire disparaître leurs traces. Après s'être assez éloignés, les khokuhns revenaient au groupe principal et prenait un autre petit groupe.

Il y avait ensuite plusieurs points de rendez-vous, plus haut dans la montagne, pour que se rassemblent des groupes un peu plus important, afin d'emprunter les différentes voies qui menaient au Sanctuaire.

Le Sanctuaire était une autre vallée sacrée. Une vallée très haut dans la montagne, comme la vallée secrète dans laquelle il y avait le Temple du Passage. Après discussion, il ressortait qu'il existait plusieurs vallées secrètes dans la grande chaîne d'Athallin, des vallées sacrées, aux pouvoirs magiques, dans lesquelles les tribus n'avaient pas le droit de vivre. Elles s'y rendaient uniquement pour certaines cérémonies, ou pour s'y réfugier. Dans la plupart de celles-ci, il y avait des temples, avec des sources sacrées, dont les pouvoirs devaient être utilisés avec parcimonie. Pour certaine, on n'avait le droit de les utiliser qu'une fois par siècle. Les raisons s'en étaient perdues dans le temps, mais les Kyohnis, respectueux des coutumes, se tenaient à ces interdits.

Avec la disparition progressive de leur peuple, la localisation de certaines vallées s'était même perdue, ne subsistant qu'au travers de vagues légendes. Le sanctuaire était l'unique vallée connue de toutes les tribus, parce que c'était là qu'avait lieu la cérémonie de passage des khokuhns. Elle était très éloignée, mais elle constituait leur lieu le plus sûr. Même les hauts mages n'y avaient jamais mis les pieds.

Le petit groupe de Christophe était parmi les derniers à s'être séparé de la colonne. Julie et Samya étaient parties avec leur petit groupe une demi-heure plus tôt. Ils avaient un point de rendez-vous qu'ils ne devraient atteindre qu'un peu avant le crépuscule. Ève, elle, était restée avec le gros de la colonne, qui s'égayerait en groupe épars, de deux ou trois hommes, le lendemain, loin d'ici. Ils ne la reverraient que lorsque le plus gros de la tribu serait réuni pour passer les cols. Il en avait été décidé ainsi parce qu'elle se déplaçait avec Bagheera. En laissant des empreintes évidentes du passage du fauve à côté des humains, ils comptaient s'assurer que c'était bien cette piste principale que suivraient les Chasseurs Nocturnes. Ensuite, Ève serait accompagnée d'Isk-hi, elle serait en sureté avec lui.

Christophe sourit. Il était persuadé qu'Isk-hi était à moitié amoureux de la Vierge Guerrière. Il se demandait si elle s'en était rendue compte. Il espérait que non, ou alors qu'elle soit assez forte pour que cela ne créé pas de malaise entre eux. Elle lui avait révélé, lors d'une discussion antérieure, qu'elle ne se sentait plus attirée, ni même intéressée par sa sexualité. Elle avait compris que cette partie là de sa féminité avait été mise en sommeil, lors de la cérémonie qui l'avait fait devenir Vierge Guerrière. Christophe aurait pu en être peiné pour Isk-hi, mais il avait l'impression que le khokuhn savait à quoi s'en tenir, et qu'il ne demandait rien, si ce n'était être près d'elle à chaque fois que cela était possible.

Christophe réalisa qu'il ne savait même pas si les khokuhns étaient tenus à une quelconque réserve vis à vis de la sexualité.

Il s'arrêta de courir sur une injonction de Soluhn, et son attention fut captée par la vigilance que nécessitait leur déplacement. Ils ne courraient que lorsque le terrain y était propice : dès qu'ils retrouvaient un terrain meuble, ils marchaient, rapidement mais précautionneusement, de manière à ce que le chasseur puisse effacer toute trace laissée. Tout cela inquiétait Christophe, le stressait. En toute logique les Nocturnes devaient être loin derrière eux, peut-être même à plusieurs jours de marche. Mais d'être ainsi séparé de ses amies le mettaient mal à l'aise. Il avait peur pour elles. Elles étaient sa famille.

Et il avait peur surtout pour Ève. Elle était la plus forte d'entre eux, certes. Mais si ce que les Kyohnis avaient dit sur les Nocturnes n'était qu'à moitié vrai, elle n'avait aucune chance s'ils la rattrapaient. Et surtout, alors qu'ils entamaient leur départ du village, Christophe avait entendu un des Asqueshs parler d'un guerrier Akheraï gigantesque, qui avait tué leur plus puissant khokuhn, aussi facilement qu'on se débarrasse d'un enfant. Un guerrier Nocturne protégé d'une armure d'épines...