Allongés autour de leur petit déjeuner, les membres du groupe se regardait en silence. Dado leur avait préparé du pain à partir de céréales sauvages. D'un goût absolument unique, il leur avait semblé qu'il s'agissait d'un gâteau savoureux. Une orgie de fruits accompagnait ce met de poids, petits ou gros, frais, juteux ou secs, chacun de ceux-ci était un émerveillement, du moins eut été un émerveillement, si leur esprit n'avait pas été aussi préoccupé.
Dado n'avait en effet aucun souvenir d'une race humaine qui eut ressemblé à Asha et ses sbires. Il s'était voulu rassurant cependant, arguant qu'il n'était jamais sorti de sa cité durant les quelques années où il avait servi et protégé son créateur. Et après la guerre, il n'avait vadrouillé qu'une année avant de revenir en ces vallées, qui seules pouvaient lui fournir un peu de sécurité... du moins, c'était l'impression qu'il en avait, son seul chez lui... Il n'avait finalement pas vu grand chose du monde.
Le peu qu'il en connaissait, il leur avait raconté le soir précédent : la Haute cité de Perduhn, dans laquelle il avait vécu une dizaine d'année au service de son créateur, le mage Hegatu, et la fin de l'ère humaine, tel que lui l'avait vécu, il y avait plus de deux cents années de cela.
A cette époque, les humains ne faisaient pas que diriger un empire, ils dominaient le monde.
Leur empire s'étendait d'un bord du continent à l'autre, sans compter les îles et comptoirs par delà les mers et les océans.
Leur puissance n'avait pas d'égale et c'étaient emprunt de crainte et de respect que les autres peuples traitaient avec eux.
Les humains étaient puissants, fédérés, invincibles... invaincus.
Du moins jusqu'à la grande guerre des Peuples.
Cette magiocratie était gouvernée par le plus puissant des mages. A chaque décennie, les prétendants s'affrontaient en un duel épique, parfois mortel, dont le vainqueur prenait le titre d'Agashek. Mais les prétendants n'étaient pas nombreux. Il arrivait souvent que plusieurs décennies se passent sans qu'un duel n'ait lieu.
Le continent était divisé en une multitude de régions, chacune gouvernée par une Haute Citée, elle-même dirigée par un Haut Mage, qui se faisait roi, seigneur, ou d'un autre titre honorifique en fonction des régions. Ces Hauts Mages versaient leur dîmes à l'Agashek, en service, en or, en esclave, ou bien en un mélange de tout cela. En échange, ils géraient leur région comme bon leur semblait.
Trois autres peuples se partageaient le reste du monde, chacun originaire d'un autre continent. Mais aucun n'égalait en puissance les êtres humains.
Les Boronides, puissantes créatures à six membres et à la force herculéenne, n'avaient pas d'égaux au combat au corps à corps, les Ichsorihns, peuple insectoïde vivant dans d'immenses ruches, étaient presque aussi doué que les humains dans le domaine de la magie, et les Obazhaï, créatures humanoïdes, moitié moins grandes que les êtres humains mais deux fois plus féroces, se déplaçant en immenses hordes qui dévastaient tout sur leur passage.
Dado connaissait peu de choses sur ces autres peuples. Il n'avait eut affaire qu'à des Boronides et des Ichsorihns.
Ces derniers avaient joué un rôle majeur dans la guerre contre les humains, mais c'était les Chasseurs Nocturnes qui en avaient été le déclencheur.
Les Chasseurs Nocturnes étaient les ennemis des êtres humains depuis des générations.
Peut-être pouvait-on dire qu'il formait un peuple, mais c'était incertain. On les appelait ainsi parce qu'ils ne sortaient que la nuit, par petit groupe la plupart du temps, pour chasser l'humain. N'ayant aucune pitié, ils tuaient tous les hommes qu'ils rencontraient, ainsi que les femmes et les enfants, et ils en mangeaient la chair. Dado en avait affronté durant les quelques combats auxquels il avait participé pour protéger Hegatu, son maître. Ils étaient très difficiles à combattre, car très mobiles et très résistants, mais moins forts que Dado avec sa masse, du moins à un contre un.
Ils portaient un autre nom avant, Dado le savait, sans s'en souvenir. Tout ce qu'il se remémorait était le surnom dont les avait affublé son maître : Tligos, ce qui à peu de chose près signifiait « les Blafards ».
C'était eux qui avaient manipulé et convaincu les autres peuples de s'allier pour entrer en guerre contre les humains.
C'était la seule guerre qu'avait connu Dado. Il y en avait eu d'autres avant, du moins l'histoire en parlait. Et il y avait assez fréquemment des confrontations entre certaines Hautes-cités, pour des questions de territoires ou de puissances, mais comparées à la guerre des Peuples, il ne s'agissait que d'échauffourées.
Les Boronides avaient envoyés leurs légions.
Les Ichsorihns avaient invoqués leurs serviteurs.
Les Obazhaï avaient déferlé.
Et la nuit était le domaine des Blafards.
La guerre avait duré plus d'une vingtaine d'années, versant le sang de centaines de milliers de combattants. Plus de la moitié du peuple humain avait péri avant même la fin des combats, d'après ce qu'Hegatu avait rapporté à Dado.
Il se souvenait encore de son visage, las, émacié par des jours de combats. « La magie réclame son dû encore plus sûrement que le désir »... un vieux dicton de la région dans laquelle ils vivaient.
C'était ici, dans les montagnes d'Athallin qu'avaient résisté les dernières Hautes Cités. A peine une poignée comparées aux milliers qui avaient parsemé le continent.
Toutes les autres étaient tombées une à une, jusqu'à la grande bataille d'Elohnsihë, la Grande Dévastation comme on l'avait appelée. Il ne restait plus là-bas qu'un désert stérile. Après ce désastre, toutes les Hautes-cités s'étaient rendues, sauf celles d'Athallin, dans lesquelles les mages et hauts mages survivants s'étaient réfugiés, espérant résister par la concentration de leurs forces.
Peine perdue.
Dado avait été créé là, dans la Haute-cité de Perduhn, celle qui était maintenant hantée par les courants chaotiques de magie. Hegatu était un mage du conseil, aux ordres du Haut Mage. Il avait créé son serviteur pour le défendre et le servir, un peu avant le début de la guerre. Pressentant les troubles à venir, il lui avait donné la force, l'endurance, et la capacité de percevoir la magie. Mais cela n'avait pas suffit.
Durant la bataille qui avait traumatisé la vallée, un groupe de mages Ichsorihns protégés par des Boronides avait réussi à pénétrer dans la demeure surprotégée d'Hegatu, et l'avait tué. Ils avaient laissé Dado pour mort, au milieu des corps des autres suivants et protecteurs de son maître.
Il s'était réveillé quelques temps plus tard, gravement blessé, alors que les combats continuaient dans les rues et les demeures de la Haute-cité. La vengeance était un sentiment inconnu de lui, seul restait l'instinct de survie. Il s'était caché jusqu'à ce que les armées victorieuses se retirent, puis s'était enfui.
Les Chasseurs Nocturnes rodaient déjà, à peine la nuit tombé. Ils achevaient les blessés et tuaient tous les survivants qu'ils trouvaient.
Dado avait réussi a atteindre les montagnes avec quelques autres rescapés, et puis ils s'étaient séparés, chacun fuyant de son côté.
Où qu'il aille, Dado n'avait trouvé que ruines et désespoir, et la peur. Peur des Chasseurs, peur de la magie, et peur des créatures comme lui. Il avait plusieurs fois échappé à la mort, et par dépit était revenu dans ces montagnes, car il n'existait nul autre lieu où il serait plus à l'abri.
Pour autant, tout danger n'était pas écarté, plusieurs fois par le passé il avait retrouvé les restes d'un camp humain ayant été la cible d'une attaque des Chasseurs Nocturnes. Non pas que ceux-ci rodaient souvent dans les environs, mais ils pourchassaient les humains, et ceux-ci étaient particulièrement avides de trésors enfouis ou d'artefact magiques dont regorgeaient les ruines d'Athallin.
Parmi les survivants humains que Dado avait rencontrés, aucun n'avait une apparence semblable à celle qu'avait décrit Christophe. Mais le monde était grand, et beaucoup de temps s'était écoulé. Peut-être que maintenant les humains pouvaient utiliser la magie à nouveau ?
Chacun fut redevable à Dado de la manière naïve dont il essayait de les rassurer, mais l'inquiétude restait présente. Existait-il sur ce monde la connaissance pour leur permettre de retrouver le chemin de la Terre ?
Certes, il restait les autres peuples, dont un, au moins, maniait très bien la magie. Mais s'ils détestaient autant les humains, quelles chances y avait-il qu'ils apportent leur aide ?
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Vierge de sang
FantasiÈve courait, comme jamais elle n'avait couru. Elle sentait le terrain sous ses foulées, savait instinctivement où poser les pieds, elle était comme le vent qui file entre les arbres. Elle percevait avec une précision incroyable toutes les odeurs qui...