Chapitre 21 - 1 : Guerrière

8 2 3
                                    

« Pourquoi t'as fait ça ? »

Le ton brutal de Samya à l'encontre d'Ève sonnait plus comme un appel de détresse que comme une accusation. Dans sa tête, ce n'était pas le tutoiement qu'elle aurait dû employer, mais le « nous » de la responsabilité commune. Cependant, elle n'avait pas eu le courage de le prononcer. Elle se souvenait très bien avoir été là, à quelques pas d'Ève et Christophe, lorsque l'évènement s'était joué. Elle n'avait rien fait pour empêcher le malheur. Elle ne comprenait pas pourquoi elle n'avait pas réagi. Elle avait été comme anesthésiée, l'action s'était déroulée comme dans un enchaînement naturel, une scène qui devait être.

« Cela fait partie de la cérémonie, déclara Ève.

- Pourquoi ça ? Pourquoi ? C'était pas lui ! C'était pas nous ! » Les lèvres de Samya tremblaient. Elle aurait voulu sauter au visage d'Ève, lui faire mal comme elle leur avait fait mal. Mais confusément elle sentait qu'elles avaient toutes subi la situation. Pourtant, c'était elle qui les avait emmené ici, elle était responsable de ça... au moins.

Julie, assise sur ses talons à côté de l'autel, contemplait ses mains tâchées du sang de Christophe. Elle l'avait rapidement ausculté pour découvrir qu'il était mort. Ses mains avaient parcouru le corps tiède, pour constater la gravité de la blessure et l'absence de tout souffle. Durant quelques fractions de secondes, elle avait contemplée ébahie les yeux ouverts de son ami, si clairs dans la lumière du soleil... et si vide de toute vie.

L'émotion qui l'avait assaillie avait été si forte qu'elle lui avait coupé les jambes. Et maintenant, elle contemplait ses doigts rougis, en se demandant pourquoi elle n'avait rien fait.

« Cela fait partie de la cérémonie, reprit Ève. Maintenant. Ça. Je dois le ramener.

- Qu... quoi ? Samya balbutiait, butant sur les mots comme si son esprit devait faire un effort pour en assembler les syllabes. Com... comment ? »

Ève posa sa lance contre l'Autel et glissa ses bras sous le corps inerte. Sans une ombre d'effort, elle le souleva, se retourna et commença à gravir les marches, escortée de Bagheera.

Elle était si petite et frêle, comparée au corps qu'elle portait. Le contraste était saisissant.

Samya ouvrit la main dans sa direction, mais aucun mot de sortit de sa bouche. Elle échangea un rapide regard d'incompréhension avec Julie, puis, sans réfléchir plus avant, suivit celle qui les avait guidées jusqu'ici.

Kim, en haut des marches, regardait le petit groupe monter jusqu'à elle. Les mains sur la bouche, elle ne parvenait pas à calmer ses sanglots. Elle voulait reculer pour ne pas avoir à affronter la mort, elle voulait s'approcher pour toucher le corps de Christophe.

Pleine des certitudes de l'adolescence, elle avait longtemps cru ne plus pouvoir vraiment aimer un homme. Elle avait cru que sa relation avec celui-ci était un échange d'affection et de tendresse qui accompagnait le plaisir de leurs émois physiques, une sorte de profonde amitié sexualisée. Ce qu'elle avait dit avant d'entrer dans ce vallon avait été un acte irréfléchi, une pulsion imposée par l'étrange sentiment qui l'avait saisi devant l'intuition d'une perte imminente.

En voyant le corps inerte dans les bras d'Ève, elle comprenait combien elle s'était trompée et combien elle avait eut raison ensuite, de souffler ces quelques mots à son oreille.

Un court instant, elle eut le fol espoir qu'il ne fut pas mort, qu'Ève l'amène à elle pour qu'elle tente de le soigner. En un éclair, elle réalisa avec angoisses qu'elles avaient laissé leur équipement en bas, sur l'esplanade. Elle n'avait pas les morceaux de tissus pour faire un bandage, elle n'avait pas l'onguent que leur avait confié Dado, pour aseptiser une blessure. Et puis elle vit la tête de Christophe ballotter mollement en arrière, les yeux encore ouverts, figés.

Vierge de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant