Chapitre 31 - 2

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Au milieu de la matinée de leur troisième jour de marche, alors que Christophe et Ève passaient avec difficulté leur brancard de fortune dans un entrelacs de lianes et de rochers moussus, Bagheera se figea subitement en regardant droit devant elle, dans la direction vers laquelle se dirigeait le groupe, les poils de l'échine hérissés.

Samya, qui avait son arc à la main, fut la seule à réagir assez rapidement et à encocher une flèche, alors que des ombres sortaient d'entre les arbres.

Un cri de joie d'Abo interrompit les gestes de précipitation des jeunes Français, qui allaient saisir leurs armes, au plus grand désarroi d'Iiyabi, qui se retrouva la tête dans l'humus sans signe d'avertissement.

Les ombres, sortant dans la lumière, révélèrent les corps bruns d'indigènes, armés pour la guerre. Le plus grand d'entre eux ne devaient pas dépasser le mètre soixante, mais ils étaient tous solidement charpentés, et plus particulièrement deux d'entre eux, qui portaient des coiffes courtes, ornées de plumes et de colifichets, dont le corps sec révélait les muscles longs de ceux qui ont l'habitude des efforts durables. Ils n'étaient habillés que de pagnes, et portaient des lances, des petites haches, des poignards longs à large lame ou des casses-têtes, et tous avaient un arc et un carquois en bandoulière. Certains portaient des espèces de gibecières, et d'autres simplement de tout petits sacs, presque des sachets, autour du cou ou à la taille.

La plupart arborait des marques de peinture vert-sombre sur le torse, mais les deux hommes portant les coiffes avaient le corps couvert de tatouages complexes, dont les arabesques rappelaient en certains points celles des Chasseurs Nocturnes. Il émanait d'eux une impression de menace étrange, surnaturelle.

En dehors de ceux qui portaient la coiffe, la chevelure de chacun était ornée de petites tresses, dont la répartition semblait minutieusement calculée. Certaines des tresses étaient ornées de minuscules colifichets, taillés dans du bois, de l'os ou parfois des pierres de couleurs. Ils portaient également quelques bijoux, des cercles de métal autour d'un biceps, des boucles d'oreilles ou de nez, et des anneaux.

Malgré leurs armes, leur attitude ne laissait transparaître aucune agressivité, sans pour autant qu'ils soient souriants. Ils avaient plus l'air intrigué que méfiant.

Abo les accueillit en levant les bras au ciel, enchaînant les paroles en un rythme trop rapide pour que Christophe puisse en saisir le sens. Il se doutait bien qu'elle parlait des malheurs qui venaient de s'abattre sur sa tribu, néanmoins, il fut surpris lorsque Abo prit par le poignet l'un des hommes portant la coiffe décorée et l'amena dans sa direction, pour finalement passer à côté de lui en lui tapotant la poitrine, tout en prononçant le mot « magichien », presque comme s'il s'agissait d'un détail, ce qui ne semblait pas l'être pour celui qu'elle menait ainsi. Puis elle s'arrêta devant Ève, et lui toucha respectueusement la main en l'appelant « Eyela Orila ». L'indigène la fit répéter, comme s'il avait mal compris, puis parut dubitatif. Mais Abo lui montra la tunique, les sandales, puis la lance que portait Ève, pour finalement montrer du doigt Bagheera à moitié dissimulée dans les lianes.

Petit à petit, le doute laissa la place à l'étonnement, puis l'homme mit lentement un genou à terre, aussitôt imité par la vingtaine de guerriers, à présent visibles.

Le silence se fit, alors que Christophe corrigeait machinalement : « cien... cien.... On dit magicien. »

Il s'avéra que ces guerriers provenaient d'une tribu voisine, les Kyohnis. L'un d'entre eux examina Iiyabi et donna des herbes à Abo, pour améliorer l'état de sa blessure infectée. De leur conversation, Christophe comprit qu'ils n'allaient pas rester avec eux, ils allaient repartir à la « chasse », à la poursuite de ceux qui emmenaient certains de leurs frères et sœurs de sang en esclavage.

Vierge de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant