Chapitre 35 - 2

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Ils arrivèrent au village en fin d'après-midi. Et, malgré le déferlement de joie qui accompagna les retrouvailles, Ève conservait en elle un sentiment sombre qui lui gâchait son plaisir. Elle cherchait du regard Christophe, espérant qu'il se montrerait maintenant qu'ils étaient en sureté relative, mais il n'y avait aucun signe de lui.

Kim fut la première à interpréter correctement l'attitude de la Vierge Guerrière et il ne fallut que quelques mots pour que toutes les quatre se mettent à parler de ce qui était arrivé à leur ami. Les filles furent rassurées de savoir qu'Ève l'avait vu, parce qu'il ne s'était pas montré au village depuis plus de cinq jours. Avec l'aide de Jaïba, décrite par Kim comme la gardienne de la magie des femmes, et de son apprentie nommée Sissima, elles avaient monté une espèce de stratégie pour lui faire reprendre ses esprits, en vain. Ojoro, le seul khokuhn resté au village n'avait pas pu retrouver les traces de Christophe, et Sissima n'avait pas eu plus de succès en tournant autour du village au hasard, pour croiser sa route.

Le khohu en avait conclu que le jeune homme avait quitté la vallée, et cela les avait plongées dans une sorte de sentiment morbide proche de la dépression.

Elles étaient d'autant rassurées de savoir qu'il devait, à présent, tourner autour du village, à veiller sur ses habitants. Cependant, apprendre que c'était à cause de la présence d'un tueur ailé, eut un effet diamétralement opposé. Il fallait qu'elles hâtent les choses afin de parvenir à le récupérer, avant que la créature n'attaque.

Elles furent néanmoins interrompues dans leur conciliabule par Aëlep, qui venait chercher Ève pour un conseil de tribu réuni en urgence. Cette dernière fut étonnée de l'invitation, mais accepta.

Le vieil homme s'exprimait dans un français encore meilleur que celui du kiyé. Et il lui assura que sa présence était nécessaire, parce qu'elle était à leur yeux une « sainte dont la parole était précieuse comme l'eau ». Ève resta dubitative face à ce compliment, étant donné l'omniprésence de l'eau dans les vallées qu'habitait la tribu nesq, mais Aëlep la détrompa en lui faisant la conversation sur le chemin de la hutte du conseil. Il lui conta l'époque des jours de quête, juste après la fin de la guerre, pendant laquelle les derniers combats de haute magie avaient eu lieu dans ces montagnes. Sans qu'on sache par quels maléfices, ni de quel faction il provenait, la plupart des sources d'Athallin avait été polluées par un poison invisible. Les symptômes du poison n'étaient pas immédiats, mais se révélèrent graduellement. Les femmes enceintes avortaient, ou bien leurs enfants naissaient mal formés ou monstrueux. Les enfants déjà nés étaient pris de troubles qui les approchaient de la folie, certains parce qu'ils voyaient des choses immatérielles qu'ils n'étaient pas capables de comprendre, d'autres parce que leur corps se déréglaient. Les animaux aussi, devenaient fous. Ce fut une période de grands malheurs, qui ne dura pas, fort heureusement. Mais elle grava en chacun d'eux l'importance de l'eau, même si elle était abondante.

La hutte du conseil était un peu à l'écart du village, et un espace avait été aménagé entre celle-ci et ce qui l'entourait, visiblement afin que personne ne vienne écouter ce qu'il n'aurait pas dû entendre. Pour autant, personne ne montait la garde autour. Tous les villageois se tenaient à l'écart, pour la plupart préparant les festivités qui avaient impulsivement été déclarées, pour le retour de l'expédition nesq et des survivants kokoris.

Il était étrange pour Ève d'assister à ce conseil. Bien que le khohu lui traduisit du mieux qu'il pouvait, elle ne comprenait pas tout, et surtout pas ce qu'on voulait d'elle. Principalement lorsqu'on lui demanda son avis. Le sujet en était, bien entendu, la présence du monstre que la malédiction des Shoakss avait mené sur eux.

« Je ne sais pas ce qu'il convient de faire, avoua-t-elle. Isk'hi a bien parlé tout à l'heure, lorsqu'il a dit qu'il fallait monter un piège. Mais nous l'avons déjà fait, les pièges placés dans la jungle n'ont pas été efficace, pas plus que lorsqu'un de vos jeunes guerriers a accepté de servir d'appât, sans arme. Ça n'a rien donné. Je crois que cette créature est très intelligente. Ce n'est pas un animal : si on doit monter un piège, il doit être très complexe. Il faudra un piège... comme au billard, avec plusieurs bandes.

- Comme au quoi ? s'enquit Aëlep.

- Heu oui... Nan, mauvais exemple. Disons un piège en plusieurs étapes. Des choses qui en apparence ne sont pas liées, mais qui, au final, s'assemblent pour former ledit piège.

- Et comment on fait ça ?

- J'en sais rien. Il faut réfléchir. Il faut savoir ce qu'il veut, et le tenter avec ça, par exemple.

- Il veut vengeance pour Shoakss morts, déclara le kiyé.

- Alors c'est moi qu'il veut en premier ! » comprit tout haut Ève.

Les khokuhns acquiescèrent lorsque la remarque leur fût traduite, mais Isk-hi fit cependant remarquer qu'elle n'avait jamais été attaquée jusque là.

« C'est parce que je ne suis jamais seule ! Il y a toujours l'un de vous avec moi, sans compter Bagheera... Je devrais être seule pour servir d'appât. Et surtout, il faut que ça paraisse normal. Si c'est illogique, la créature pourra soupçonner quelque chose.

- Mais toi jamais seule ! releva Iyuh. Bagheera toujours avec toi.

- Elle peut partir chasser, ça lui arrivait souvent avant cette histoire. C'est dans sa nature.

- Et si créature attaque Bagheera pendant que elle seule ?

- Elle pourrait faire ça ? » S'étonna Ève.

Le kiyé haussa les épaules avec incertitude.

« OK... va falloir bien penser notre affaire, conclut la Vierge Guerrière. Plusieurs bandes... Il faut trouver plusieurs bandes... »

Vierge de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant