Chapitre 12 - 1 : Le petit vallon

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C'était un petit vallon ombragé. Les grands arbres qui en remplissaient la plus grande partie ne cédaient la place qu'à une unique clairière, entièrement ceinturée d'une clôture en bois.

Au fond de cette clairière, une imposante bâtisse en pierre était adossée à la montagne. Du moins était-elle imposante pour des êtres de taille humaine. Pour Dado, elle devait être relativement modeste.

Le géant les avait emmené là après les avoir retrouvé comme convenu à l'endroit de leur première rencontre. Dado leur avait proposé de les accueillir chez lui, il disposait de suffisamment de place d'après lui, et il avait un bon âtre pour tenir chaud la nuit, de quoi convaincre efficacement le petit groupe.

Tandis qu'il les guidait, il répondait dans un français approximatif à leurs interrogations. Peu à peu néanmoins, son élocution s'améliorait, comme s'il s'agissait d'une langue qu'il n'avait pas pratiquée depuis longtemps. Et de fait, il n'avait pas parlé à qui que ce soit depuis des décennies. Il vivait seul dans la montagne, parce que les humains, il semblait donc y en avoir dans la région, ne l'aimaient pas, pas plus que les autres peuples. Ces autres peuples, les ennemis comme il les appelait, avaient envahi la cité en ruine, qui jadis s'appelait Perduhn. D'après ses dires, ces créatures n'avaient rien d'humain, un corps avec six membres pour certaines tribus, ou quatre pour d'autres, dont les plus terribles et agressifs, qu'il appelait les Nocturnes, rodaient encore dans les environs.

Bagheera, dont les yeux étaient redevenus normaux, avait mis du temps pour s'habituer à la présence du géant. Elle se tenait loin de lui, obligeant Ève à fermer le convoi. C'était à cause de son odeur leur avait expliqué Dado, les animaux n'aimaient pas son odeur ; D'ailleurs, à part les oiseaux et les insectes, il n'y en avait pas autour de chez lui.

Et c'était un fait, des oiseaux, il y en avait en abondance dans ces vallons. Ils emplissaient l'air d'un chant harmonieux que le passage de la petite troupe ne faisait qu'atténuer momentanément.

Après avoir cheminé pendant un peu plus de deux heures, ils empruntèrent un passage étroit, caché par de grandes frondaisons touffues, couvertes de fleurs bleues et blanches et de longues épines particulièrement acérées. Après une quinzaine de mètres dans cette ravine à la fraîcheur parfumée, ils débouchèrent sur une arche de pierre sculptée, de quatre mètres de large, représentant deux anges penchés en avant, ouvrant leurs bras en direction du vallon de Dado. Sans être délicate, l'œuvre était saisissante d'inspiration et de sensibilité. A l'énoncé des remarques enthousiastes d'Ève et de Samya, le géant sourit avec fierté et révéla en être l'auteur. Christophe, admiratif, en resta coi, contemplant tour à tour les épaisses mains calleuses et l'arche.

Mais son émerveillement acquit une nouvelle dimension à la vue de la maison, un peu plus loin en contrebas, éclairé par le soleil déclinant.

Même à cette distance, on pouvait réaliser qu'elle était bâtie et décorée avec le même art. D'une architecture simple, elle possédait des proportions équilibrées, en accord avec celles des parois étagées auxquelles elle s'adossait.

En parfait accord avec ce cadre, elle y avait sa place comme chaque arbre, chaque brin d'herbe, peut-être même, était-ce elle qui était l'âme ce lieu.

Sur un de ces flancs, une haute roue de moulin tournait lentement, entraînée par un étroit torrent qui formait ensuite un petit étang. De celui-ci un grand ruisseau s'enfuyait pour serpenter dans la clairière avant de se perdre dans la forêt. Deux ponts de bois le traversaient, bien qu'aux vues des enjambées de Dado, il était évident qu'ils n'avaient aucun autre rôle que l'esthétisme. Si en les voyant, Christophe avait rapidement pensé à des jardins japonais, la comparaison s'arrêtait là. Le style de l'ensemble était trop différent pour cela.

Pour autant, il différait également de celui qu'ils avaient pu considérer dans la cité en ruine. Ici, nulle grandiloquence ni faste manifeste. Le travail artistique avait servi a créer une harmonie entre l'artificiel et la naturel, engendrant une atmosphère qui n'appartenait plus à l'un ni à l'autre, une symbiose.

Des plantes grimpantes aux fleur orangées colonisaient une des rambardes d'un des ponts, laissant quelques lianes aux fines feuilles jouer dans l'eau. Un farfadet sculpté dans la pierre pêchait dans la mare, la joue posée sur le poignet il rêvait à des jours lointains. Des femmes aux visages souriants ornaient les linteaux des fenêtres. Partout, des signes de vies capturées dans le bois ou la pierre rendaient ce lieu habité.

Kim s'avança près de Dado et posa la main sur la sienne : « C'est parce que tu ne voulais pas être tout seul ?

- Hmm ? » Lui répondit-il.

Elle le regarda avec des grands yeux chaleureux, et montra ensuite les statues. Dado haussa ses grosses épaules : « Donner un peu vie... ».

Ils avancèrent sur le chemin, et Christophe remarqua qu'aucune personne comme Dado n'était représentée.

« Pourquoi tu ne sculptes pas ceux de ton peuple ? Lui demanda-t-il.

- Moi pas peuple.

- Comment ça ? Tu n'as pas de famille ?

- Non. Moi créé avec magie.

- C'est un magicien qui t'a créé ?

- Oui. Lui vouloir serviteur efficace. Lui faire moi.

- C'est pour ça qu'il a pas de nombril ! S'exclama Ève.

- T'es un genre de golem alors ?  Demanda Christophe.

- Non. Golem pas esprit. Moi vivant. Penser, réfléchir... »

Kim le tira soudainement par la main. « Viens ! lui cria-t-elle. Montre moi ta maison ». Et en partant, elle se retourna pour faire les gros yeux à Christophe.

Il les regarda s'éloigner les sourcils froncés, tandis que Julie lui glissait à l'oreille : « J'ai pas compris. Qu'est-ce que t'as fait ? 

- Bé... J'en sais rien. J'ai rien dit de spécial... enfin, rien de grave quoi.

- C'est peut-être parce que Dado avait l'air triste ? » supposa Samya.

Après un hochement de tête, Christophe avança à son tour sur le chemin de terre, l'air songeur.

L'herbe était haute et grasse, à tel point que Julie ne put se retenir de se jeter dedans avec délectation, riant aux éclats. Devant les yeux étonnés de ses amis, elle expliqua que lorsqu'elle était petite, sa mère l'empêchait tout le temps d'aller jouer dans l'herbe, parce que c'était sale, alors qu'elle n'avait qu'une envie, bien sûr, c'était d'y aller.

« Jouer dans l'herbe, c'est stupide » déclara Christophe en haussant légèrement les épaules. Puis il laissa tomber ses affaires aux sols et s'élança dans l'herbe en criant, sautant comme un cabris pour avancer, s'affalant après quelques mètres à cause du sol irrégulier. Ève et Samya s'entre-regardèrent brièvement avant de se jeter à leur tour dans ce qui devint rapidement un chahutage collectif aux rires hystériques, sous les embuscades expérimentées de Bagheera.

Kim regarda Dado avec une moue amusée, puis elle courut se joindre à la mêlée, en lui criant de les rejoindre.

Le géant, posa sa masse et son sac à terre, puis se gratta la tête.

Hésitant, il s'avança vers le groupe, et les contempla du haut de ses multiples mètres.

Il saisit Christophe par la taille et le leva à hauteur de son visage : « Se battre pas bien, lui reprocha-t-il.

- On se bat pas, se justifia l'intéressé. On chahute ! »

Et toutes les filles de se jeter sur Dado pour le renverser à son tour dans l'herbe.

Vierge de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant