Livre I - Chapitre 1 (2)

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Pour ne pas rêver, je chevauche les vents.

Notre destination : Pella. Nous survolons la campagne jusqu'à ce que nos ailes nous portent au-dessus de la capitale. Loin, au sud : la mer. Puis, un grand étang salé. Sur sa berge, sur une colline basse et plate, la ville.

Des marais l'entourent sur trois côtés. Pella est imprenable, avec ses murs blanchis qui boivent les rayons de Selênê et les eaux traitres qui l'entourent. Nous entendons la vie qui grouille dans les mares et les canaux.

Au-dessus de la ville, une seconde colline, plus escarpée, plus étroite. Le palais du roi la couronne tout entière, insolent de marbres et de pierres pâles.

Pella.

Demain.

***

Parfois, mes mains me choquaient.

Pas mon visage. Je l'avais rarement vu et, si j'avais une idée vague de mon apparence, je n'y étais pas attaché. Le poids de mes cheveux rassemblés en chignon me manquait davantage que mes pommettes saillantes ; quand je passais ma main sur ma nuque, la texture des courtes boucles d'Hêphaistion me surprenait.

Mais mes mains et mes avant-bras, eux, passaient dans mon champ de vision sans prévenir. Je me demandai parfois qui était cet inconnu à la peau brune qui caressait l'épaule de Podargos, avant de me rappeler que c'était moi.

Plus que toute autre partie de moi, mes paumes et mes doigts me fascinaient. Des lignes nouvelles les traversaient. Mes ongles, autrefois ronds, me semblaient plus ovales, au bout de phalanges plus élancées. Je les étudiais lorsque je parvenais à m'isoler, les tournais, pliais et dépliais les articulations.

Je voyais aussi mes pieds, quand j'enfilais et retirer mes bottes d'équitation. Une fine cicatrice blanche marquait l'un de mes genoux.

Je la traçai, du bout de mon ongle, et laissai les souvenirs de ma proie remonter.

***

Nous atteignîmes la ville de Pella à midi.

Vue depuis la terre, elle trônait, blanche et rocheuse, par-dessus les étendues des marais ; loin au sud, l'horizon se perdait dans la mer.

Nous n'allâmes pas jusque-là. Venus du nord, notre route passait sous le palais avant de rejoindre la ville, et nous bifurquâmes avec nos mulets et mon cheval pour nous y présenter.

L'acropole témoignait de la réussite du roi. Des chênes vénérables nous dissimulaient encore le palais de ses ancêtres, mais en contrebas, on construisait un ensemble de baraques, d'écuries, de greniers et d'entrepôts. Une troupe de lanciers s'exerçait déjà sur la place d'arme ; les ouvriers s'activaient autour d'eux.

Nous rejoignîmes le flot et passants sur la voie, bordée de statues de lions, qui menait jusqu'en haut de la colline. Des chariots chargés d'amphores, des esclaves chargées de la lessive, ici et là un cheval racé surmonté d'un nobliau richement habillé : je n'avais jamais vu autant de gens au même endroit.

Après la porte de la muraille, surveillée par des gardes aux larges boucliers, j'aperçus d'abord des touches de blanc, à travers les arbres qui bordaient la route, avant qu'une façade monumentale n'en émerge complètement. Des troncs massifs de pierre pâle soutenaient des frises de héros et de lions en pleine lutte, peints dans des bleus, des rouges et des jaunes vifs.

J'eus peur, soudain, de ce colosse minéral, artificiel, qui jetait ses ailes et ses colonnades sur tout mon champ de vision. Mon ignorance ne m'avait abreuvé que de villages et de la compagnie sauvage des forestiers d'Artémis, qui ne construisaient que des camps de branches et de peaux de bêtes... les souvenirs d'Hêphaistion me coulaient entre les doigts, aussi fuyants que des anguilles.

La Flèche d'ArtémisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant