Livre I - Chapitre 2

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Voici que d'Akhilleus s'approche le fils de l'illustre Nestor, qui verse des larmes brûlantes et lui dit l'affreuse nouvelle :

« Hélas ! Fils du brave Pêleus, tu vas apprendre la cruelle nouvelle de ce qui n'aurait jamais dût être. Patroklos git à terre ; on se bat autours de son corps – son corps sans armes : ses armes sont aux mains d'Hektor au casque étincelant. »

— Homère, L'Illiade, Chant XVIII


***

Qu'importe la quantité de vin absorbé la veille : juste avant l'aube, notre officier fit le tour des portes de nos chambres et les frappa du poing tout en gueulant : debout, bande de fainéants ! En piste !

La piste, c'était un chemin de terre dont la boucle enlaçait Mieza, et où nous devions nous échauffer tous les matins. Kleitos (c'était le nom du sinistre emmerdeur chargé de notre éducation militaire) passait ensuite une demi-heure à nous insulter tout en nous infligeant divers exercices pour nous muscler. Quand nous en avions fini, il nous envoyait au réfectoire pour un petit déjeuner de galettes trempées dans du vin ou du lait de chèvre, de fromage et de fruits secs et d'épaisses crêpes au miel.

Après le repas, nous reprenions l'entraînement jusqu'à midi. C'était mon premier jour au sein de la meute : j'avais tout intérêt à prouver ma valeur. Si les autres avaient été des chiens, ils m'auraient tourné autour pour me renifler l'arrière-train. Allais-je faire partie des meneurs ? Mon père n'étant guère connu, la question était plutôt : valais-je la peine qu'on se dispute ma loyauté ?

La réponse fut, incontestablement : oui.

Ou tout du moins, la matinée commença ainsi : au lancer de javelot, je rivalisais avec le meilleur ; à la course, j'avais cavalé en tête ; une fois armé en hoplite, je frappais avec la vivacité du serpent ; la fatigue ne semblait pas à avoir de prises sur moi. Je portais un linothorax [1] qui témoignait de ma relative pauvreté, mais Hêphaistion avait travaillé d'arrache-pied pour maîtriser toutes les bases requises. Ses connaissances alliées à ma force surhumaine me plaçaient au-dessus de la masse.

Jusqu'aux manœuvres de groupe.

Tous les garçons de Mieza, d'un âge compris entre treize et vingt ans, briguaient des positions d'officiers. Les plus âgés se relayaient donc pour nous faire travailler en formation d'hoplites ou de sarissophores [2].

Je me retrouvai, soudain, planté au milieu d'un groupe de vingt-cinq, affublé d'une lance de cinq mètres de long. Je ne pouvais rien faire d'autre que l'abaisser et la relever au signal donné – jamais je n'avais imaginé escrime plus pauvre et plus stupide, et jamais je n'avais autant souffert que lorsque notre chef du jour, un bellâtre du nom de Pausanias, nous ordonna de marcher tout droit, puis de tourner à quarante-cinq degrés vers la gauche, puis vers la droite. L'exercice se limitait à cela : marcher au rythme de la flûte d'un des garçons les plus jeunes, lever, abaisser, tourner. J'avais l'impression d'être un mouton.

Je détestais être un mouton et, sans surprise : j'échouai lamentablement à me faire passer pour une bête de troupeau.

La présence des autres m'oppressait. Les sarisses ne sont une arme efficace que lorsqu'on les manie en rangs très serrés. J'étais donc confiné, à gauche et à droite, par les épaules des autres. Je ne pouvais rater un pas sans qu'on me percute ; si j'accélérais, je raclais les talons du rang de devant ; si par malheur je me déconcentrais et ralentissais, le bouclier de la rangée suivante me tapait dans le dos. Je serrais les mâchoires pour ne pas montrer les dents. Jamais, jamais je n'avais eu à chasser dans une telle presse de corps ; leur regard me grattait la nuque, leur respiration me donnait envie de me retourner et de les frapper pour les éloigner de moi.

La Flèche d'ArtémisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant