Dans l'espace sombre entre deux tentes, il tournait en ronds, agité, presque tremblant, le poing collé sur la bouche. Il était facile, si facile d'imaginer la suite : la mort de Philippos, l'acclamation de Ptolemaios par Parmeniôn – ou pas d'acclamation, mais le retour vers Pella, et là... Devais-je lui révéler ce que je savais, sur les manœuvres d'Attalos ? Si Antipatros et Attalos s'alliaient pour faire acclamer Amyntas, si Parmeniôn se ralliait à eux en acceptant le mariage...
— Tu aurais dû me laisser me dénoncer, lui dis-je tout bas.
— Pour qu'il t'exécute ou t'exile ?
— Je suis là pour te protéger, pas le contraire.
— Tu ne peux pas me protéger de tout. Tu ne peux pas goûter tous mes plats ou surveiller mon cheval ou me suivre à chaque instant.
Il commença à se mordiller l'ongle du pouce, le visage plissé, la respiration irrégulière. Je détestais le voir comme ça. Malgré son armure, il me sembla petit, très jeune... fragile. Et je ne savais pas quoi faire de cette fragilité.
— Je suis sûr qu'il mentait, continua Alexandros. Sinon, mon père aurait été au courant, pour mon oncle et Antipatros. Il ne garderait pas Antipatros comme régent s'il avait provoqué la mort de son frère, si ? Parmeniôn dit juste ça parce qu'il n'aime pas Antipatros. J'en suis certain.
Attendait-il une réponse de moi ?
— Parmeniôn est perturbé par la blessure de mon père. Je ne suis pas comme il me décrit. Tu l'as entendu ? Tu as entendu comme il parle de moi ? Comme si j'étais une sorte de monstre sanguinaire ?
Je ne savais quoi lui dire. Il m'aimait violent et cruel et Térês, Térês... je ne pouvais pas détromper Parmeniôn, et je ne pouvais pas blesser Alexandros. Alors je lui caressai la tempe, la joue, je repoussai les lourdes boucles qui encadraient son visage, je l'attirai contre moi pour le réconforter et le faire taire. Nous portions toujours nos armures ; je ne sentais pas son corps contre le mien. Juste son front contre mon front, le bout de son nez contre le mien.
— Philippos ne mourra pas, affirmai-je comme si cela réglait tout. Il est protégé par les dieux.
— C'est ce que disent les gens pour se rassurer.
Je lui pris le menton, très doucement, pour qu'il lève les yeux vers moi. Un frisson parcourut ma bouche et, de nouveau, le goût du lait sucré me tapissa la langue.
— Et pourtant nous veillons sur toi, m'entendis-je répondre. Les signes seront là, si tu acceptes de ne pas t'en détourner.
Je me penchai alors pour embrasser son front. Une étincelle me piqua les lèvres ; il dût la sentir aussi, car il me répondit d'abord d'un regard abasourdi, entre l'émerveillement et l'incompréhension.
— Que veux-tu dire ?
Je me passai une main sur le visage, comme si je venais de me réveiller d'un long sommeil.
— Hêphaistion, quels signes ? Dis-moi !
— Je ne sais pas... je ne sais pas qui c'était.
Mais ce goût...
— Je sais juste que... quelle que soit la divinité qui a choisi de s'adresser à toi, c'est elle qui a arrêté la flèche, ce matin.
Et je savais que ce n'était ni Artémis, ni Dionysos.
... qui, alors ?

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La Flèche d'Artémis
FantasyAlexandre, fils de Zeus, est destiné à vaincre au nom de l'Olympe. Orestis, fils de personne, n'est que l'assassin qu'on a privé de nom. Sous l'identité d'Hêphaistion, un jeune noble désargenté dont il a pris la vie, il devra tout faire pour que le...