L'armée arrivant en vue de la mer alors qu'Hélios descendait. Le noir vent du nord [1] dégageait le ciel et bousculait les insectes, faisait claquer les capes et énervait les chevaux ; au loin, les flots roulaient, gris et rayés de blanc. Les arbres bas du marais fermaient l'horizon au levant. Au couchant : la route partait droit, le long du littoral, jusqu'à Pella.
J'avais été prévenu : après la déclaration de Pausanias, Philippos avait décidé de régler définitivement le cas Hippostratos. Ce soir.
Il m'avait aussi commandé, avec sa voix de roi : explique à Alexandros ce que j'attends de lui.
Je ne lui avais pas avoué mon dernier échec en date. Cela n'aurait sans doute rien changé. Il fallait que la demande vienne de moi et qu'Alexandros soit certain que j'y consentais.
Le groupe de Mieza plantait toujours ses tentes près de celles du roi et de ses officiers, même s'ils ne partageaient pas le même feu de camp. Ce soir-là, Kleitos alla lui-même chercher Alexandros. J'attendais au creux d'une dune, avec dans le dos un massif de tamaris en fleurs.
Gêné, je baissai les yeux, jusqu'à ce que Kleitos prenne la parole.
— Ce soir, on arrête tout. Les rumeurs, les manigances... j'aurais dû m'en rendre compte, à Mieza, que vous aviez tous viré complètement cons.
— Personne n'est assez bête pour faire quand tu es là pour le voir, maugréa Alexandros.
— Et j'aurais cru, par Zeus, que vous n'auriez pas été assez bête pour continuer après la mort de Hippostratos !
— Je n'ai rien fait.
— Non, pas cette fois, en effet, approuva Kleitos. Mais les autres ? On dirait qu'ils n'apprennent rien. Philippos a décidé de couper court. Ce soir, ce sera le fouet pour les responsables de la mort de Hippostratos – et à l'avenir, le fouet pour ceux qui se feront prendre à faire circuler des rumeurs sur le roi ou les officiers supérieurs.
— Pausanias m'a dit qu'il s'était dénoncé.
— Oui. Et la décision est prise : le fouet pour lui en tant qu'instigateur, et moitié moins pour Hêphaistion pour avoir participé.
Je relevai les yeux, juste assez pour saisir la réaction d'Alexandros. Il se tenait raide, très raide, d'une façon qui criait qu'il n'acceptait cela que par obligation.
Je me relevai de la dune. Aussitôt, le vent tira sur mon manteau. Je le laissai faire : je ne me souciai pas d'avoir froid.
— Philippos doit nous punir pour cette faute. S'il s'y refuse, Attalos sera en droit de lui demander réparation.
— Vous avez causé la mort de son héritier, rappela Kleitos. Attalos ne va pas se contenter de quelques coups de fouets, enfin ! On vous punit pour que ça ne se reproduise plus et pour te dédouaner, acheva-t-il, tourné vers Alexandros.
Les yeux dépareillés bondirent de lui à moi ; les sourcils dorés se froncèrent et, les lèvres pincées, Alexandros demanda ce que nous entendions par là.
— Il faut que tu te portes volontaire pour infliger la punition toi-même, l'informai-je. Tu dois montrer que tu approuves la sanction. Que toi aussi, tu ne tolèreras plus rien de ce genre.
— Philippos exige que je te fouette ?
— Non, répondis-je en m'efforçant de croiser son regard. C'était l'idée de Parmeniôn, pour t'éviter l'hostilité d'Attalos. Il a trop d'amis puissants.
— C'est hors de question. J'ai juré de prendre soin de toi.
— Un instant ? demandai-je à Kleitos.

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La Flèche d'Artémis
FantasyAlexandre, fils de Zeus, est destiné à vaincre au nom de l'Olympe. Orestis, fils de personne, n'est que l'assassin qu'on a privé de nom. Sous l'identité d'Hêphaistion, un jeune noble désargenté dont il a pris la vie, il devra tout faire pour que le...