Livre III - Chapitre 16 (2)

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Je n'arrivais pas à y croire.

À ma mort. Au monde gris où nous nous trouvions, dont le ciel n'était qu'un vide sans nuages. Les plaisanteries d'Hermês me donnaient l'impression que tout cela n'était qu'une comédie, une farce dont j'allais m'éveiller.

Mais non. Il y avait l'air sombre de Philippos pour me convaincre que nous nous embarquions dans un authentique voyage héroïque, de ceux que chantent les poètes, et qui finissent souvent de la plus horrible des manières pour les compagnons du héros.

Ne t'inquiète donc pas, avait ri Hermês juste avant de disparaitre pour détourner l'attention des choses qui, aux limites du monde des morts, poursuivraient les esprits qui n'empruntaient pas les routes qui leurs étaient destinées, Héraklès a réussi l'exploit, et il était dix fois moins malin que toi !

Vu l'expression de Philippos, il avait trouvé la comparaison peu convaincante.

Nous marchions à contrecourant dans l'océan de pavot. La pente qui m'avait parue si douce m'évoquait maintenant un sentier de montagne – pas à l'œil, mais à la façon dont elle tirait sur mes jambes. Tout mon corps pesait et, malgré l'absence de vent, l'air lui-même luttait pour que je fasse demi-tour.

La règle du jeu était assez facile : suivre le chemin, toujours choisir celui qui monte et ne jamais regarder en arrière.

Le silence, lui aussi, devenait lourd, trop lourd.

Pour le briser, je demandai :

— Tu... tu as déjà fait ce genre de choses ?

— Non, répondit Philippos, un peu cassant. La dernière fois que je suis mort, Hermês m'a ramené tout de suite. Ça n'avait pas traîné et j'étais seul, je n'avais rien eu à faire de particulier – d'ailleurs, je m'en souviens à peine.

— Je suis désolé. C'est ma faute.

— Je pense que c'est la faute de l'homme qui m'a tué, surtout.

Je n'osai lui dire que si, bien sûr que si, que c'était de ma faute : si j'avais trouvé l'herbe plus vite, si j'avais compris les signes, si j'avais été plus résolu...

— Mon cheval ? demanda-t-il ensuite.

— Il est mort. La lance lui a percé le cœur.

Philippos parut sincèrement triste, un instant, et je mis un moment avant de saisir pourquoi ses expressions me paraissaient bizarres : je n'avais pas l'habitude de le voir avec deux yeux, et il manquait, sur son visage, les rides que son rire et ses sourires avaient gravé à la pointe de son œil valide.

— Dommage. C'était une bonne monture, très courageuse.

Il ne me demanda pas de nouvelles de Démêtrios ; lâche, je m'abstins de lui en donner.

Au bout d'un moment, Philippos rompit de nouveau le silence :

— Et... Alexandros ? Comment prend-il les choses ?

— Bravement. Mais tu lui manques.

— Les troupes ? Les officiers ? Comment se comportent-ils avec lui ?

— Parmeniôn s'occupe de l'armée, répondis-je, évasif.

Philippos insista d'un regard un peu trop appuyé.

— Ils se sont disputés et Parmeniôn l'a menacé. Ça a beaucoup inquiété Alexandros, il craignait qu'il se range du côté d'Amyntas et qu'il le fasse assassiner.

— Ridicule. Qu'est-ce qu'il a fait ?

— Parmeniôn ?

— Non. Alexandros. Parmeniôn ne dévierai jamais de la voie que j'ai tracée, et il ne se disputerait pas avec mon héritier sans raison.

La Flèche d'ArtémisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant