Une nouvelle fois, je ne trouvai pas le sommeil. Je percevais des murmures étranges dans le vent, qui se mêlaient aux bruits habituels d'un camp. La nuit, les conversations portent loin. Ce n'était sans doute qu'une déformation du son dû à quelques originalités du relief, mais cela m'irritait ; et puis, compris-je lorsque les autres revinrent, j'appréhendais le retour d'Alexandros. Mon corps se tendit tout entier quand il entra dans notre partie de la tente.
Comme la veille, il voulut se coucher près de moi. Un sentiment d'horreur me paralysa. Sa présence proche de mon dos, c'était plus menaçant que le grondement d'un lion des montagnes [1]. Je me décalai sur nos matelas posés côte à côte jusqu'à ce que la toile m'empêche d'aller plus loin, en espérant qu'il comprenne, mais non : ses bottes retirées, son manteau dégrafé pour être jeté sur les couverture, il ne marqua qu'un court temps d'arrêt avant de s'étendre près de moi et de passer le bras par-dessus ma taille.
— Laisse-moi !
Mais il ne me laissa pas : il se figea contre moi, chaud et proche, beaucoup trop proche.
— Je n'ai pas envie, insistai-je.
Je le sentis s'éloigner. Silence. La menace, mortelle, me soulageait d'un peu de son poids – trop peu, trop peu.
— J'ai fait quelque chose... ?
— Non. Je n'ai pas envie, c'est tout.
Il se coucha, plus loin.
Silence.
Je fermai les paupières, les pressai, comme si cela pouvait hâter la venue du sommeil. Au bout d'un moment, la respiration d'Alexandros ralentit, et je commençai enfin à me détendre : endormi, il ne s'approcherai plus. Rien ne pourrait nous arriver et le lendemain, je retournerai dormir avec les autres, au moins jusqu'à ce que mon corps cesse ses folies.
Mais les jeux d'Éros sont cruels, et qui étais-je pour mesurer ma volonté à la sienne ?
Cette nuit-là, je rêvai.
Le dieu me ramena dans la caverne aux eaux chaudes. Il replaça le strigile de bronze contre ma peau brune, raviva l'odeur lourde et savoureuse de l'huile qui flottait dans l'air épais d'humidité. On m'appela ; je me tournai ; le corps d'Alexandros apparut, si lumineux que ses bords se floutaient. Les autres n'étaient que de vagues silhouettes sombres, fondues dans la vapeur.
La main du dieu me poussa entre les omoplates ; ses doigts défirent les amarres de ma raison. L'eau grise et chaude m'enlaça les jambes, avala mes hanches, m'avala tout entier alors que j'immergeai.
Quand je sortis de l'eau, Alexandros et moi étions totalement seuls.
On ne s'étonne pas de ce genre de choses dans un songe. L'étendue de son dos s'offrait à mon regard ; le sien me guettait par-dessus les douces collines de son épaule.
— Ce que vous faites dans le noir n'appartient qu'à vous, mentit le dieu.
Les lampes aussi avaient disparues. La lumière semblait provenir d'Alexandros lui-même, de sa peau, du sourire qui donnait à ses lèvres trop pleines une courbure moqueuse. Il se tourna pour me faire face.
Dans les rêves, les interdits n'existent pas.
Je me perdis dans ses bras tendus, contre son corps, entre les jambes qu'il referma autour de moi. J'avais trop peu d'expérience pour que les choses se précisent : je savais que je touchais sa peau, que je l'enlaçais, que je voulais nous fondre l'un dans l'autre. Sa bouche m'étourdissait d'un goût délicieux. Je le couchai dans l'herbe grasse et molle d'une prairie. Cela aussi n'avait pas besoin d'avoir du sens ; seule en avait l'extase de l'entendre gémir contre mon oreille, de l'étreindre et de sentir qu'il était mien, totalement mien et qu'il consentait à tout me donner...
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La Flèche d'Artémis
FantasiaAlexandre, fils de Zeus, est destiné à vaincre au nom de l'Olympe. Orestis, fils de personne, n'est que l'assassin qu'on a privé de nom. Sous l'identité d'Hêphaistion, un jeune noble désargenté dont il a pris la vie, il devra tout faire pour que le...