Il était trop tard pour que je tente d'aborder Kassandros. Nous avions encore notre charriot, un des derniers en état, et Alexandros exigea des autres qu'ils attendent son accord avant de nous y rejoindre. Il alluma la lampe à huile suspendue au plafond avant de me demander de le débarrasser de son armure. J'obéis en silence, toujours perturbé par le plan auquel j'avais consenti. Je me sentais sale rien que de penser à ces insinuations, comme si l'insulte m'éclaboussait moi aussi.
Alexandros s'assit sur le lit, tout au fond, et m'adressa un étrange petit sourire que je n'avais jamais vu sur son visage.
Je baissai la tête et lâchai un long soupir.
— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il.
Trop de choses. Ce plan dont je doutais, la conversation que j'avais surprise entre Kleitos et Philippos. Il fallait sans doute que j'en informe Alexandros, mais espionner ses proches n'avait rien de bien reluisant.
— Je suis désolé d'avoir perdu mon sang froid avec Démêtrios, réponds-je. Je te mets en danger.
— Viens t'assoir avec moi.
Je n'avais aucune raison de refuser et m'assis, à un bras de lui.
— Démêtrios me méprisait bien avant que tu l'attaques, dit-il. Au moins, à présent, je connais mon ennemi. Je ne lui ferai plus aucune concession.
— S'il nous dénonce...
— S'il nous dénonce, ce sera soir, quand il reverra mon père. Mais je ne pense pas qu'il le fera, cela le forcerait à avouer qu'il m'a traité de bâtard. (Il se rapprocha un peu, jusqu'à ce que sa main frôle la mienne.) Tu t'es battu pour protéger mon honneur.
Je m'étais battu pour venger Térês, mais Kleitos me trouvait méchant, et il serait sans doute méchant de corriger la version d'Alexandros.
— Je suis là pour te protéger.
— Tu tuerais vraiment pour ça ?
— Bien entendu.
— Tu t'es arrêté quand je te l'ai demandé. Tu avais l'air invincible, mais tu t'es arrêté.
Il me regardait bizarrement, par en dessous, à travers ses cils dorés et une lourde boucle qui tombait devant son œil le plus sombre.
— Tu es mon maître, répondis-je.
— Je t'ai déjà dit que je ne veux pas être ton maître. (Le bord de sa main se colla à la mienne.) Je voudrais qu'on soit amis, toi et moi.
Il sentait excessivement bon, malgré toute la saleté de la marche qui nous recouvrait ; il faisait trop froid pour se laver autre chose que les mains et le visage.
— D'accord, acquiesçai-je.
Toujours ce regard, insistant, rivé à moi ; il se mordilla la lèvre. Nous étions proches, très proches, et son petit doigt se pliait et se dépliait contre le flanc de ma main. Le silence s'allongeait. J'entendais autour de nous tous les bruits d'un camp qui se prépare à la nuit : le lointain cri d'une mule, le vent dans les arbres, les geigneries d'un couple de gardes qui commençaient leur ronde, les gloussements de nos camarades qui se demandaient ce qui nous prenait si longtemps. Je ne sais ce qui avait soudain étiré mes sens – j'étais exagérément conscient de l'odeur de l'Alexandros, de celle du bois ciré du chariot, de l'huile de la lampe. Et de son cœur. Son cœur battait vite, beaucoup trop vite, comme le cœur d'un homme qui court.
Et puis il s'écarta, après ce long moment à s'observer sans rien faire.
— Je me disais que, les nuits sont glacées dans la montagne, alors si tu as froid, nous pourrions... dormir plus près l'un de l'autre.

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La Flèche d'Artémis
FantasyAlexandre, fils de Zeus, est destiné à vaincre au nom de l'Olympe. Orestis, fils de personne, n'est que l'assassin qu'on a privé de nom. Sous l'identité d'Hêphaistion, un jeune noble désargenté dont il a pris la vie, il devra tout faire pour que le...