Livre II - Chapitre 15 (3)

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Si la première partie du voyage avait été fastidieuse, la seconde fut aussi que brève que pénible. La forêt s'ouvrait pour se débarrasser de nous le plus vite possible ; pourtant, je peinai à m'en échapper. Je tremblais de froid, de fatigue et sans doute d'un peu de crainte tout en suivant Hêphé ; je trébuchais si souvent que mes genoux ressemblaient à des champs de bataille.

Les arbres nous recrachèrent au-dessus de la prairie qui surplombait le camp. Le ciel s'éclaircissait, mais il faudrait encore longtemps avant que le soleil passe par-dessus les montagnes. Hêphé choisit ce moment pour disparaitre – je sentais encore sa présence froide aux frissons incontrôlables qui arpentaient mes os, mais mes yeux, dont le champ de vision se rétrécissait, ne percevait plus son ombre.

Je ne me rappelle pas bien la suite : on m'arrêta aux abords du camps, puis vint ensuite Alexandros, même si je ne pouvais être passé directement de l'orée de la forêt à la tente de Parmeniôn. Le prince frottait mes mains bleuies et répétait : l'as-tu trouvée ? Sa voix me parvenait, épaisse et trouble, comme si j'avais la tête sous l'eau.

Si j'avais eu l'esprit plus clair, j'aurais hésité, ou au moins considéré la possibilité que les nymphes m'avaient donné du poison pour se venger de ma brutalité. J'étais dans un tel état d'épuisement de d'hébétude que l'idée ne m'effleura même pas. J'avais obtenu une plante qui ressemblait à celle d'Hermês. Il ne me restait plus qu'à obéir aux ordres du dieu, à la mâcher pour en faire une pulpe qu'on étendrait sur la blessure du roi.

Un vague espoir perça à travers mon épuisement : si ce n'était que cela...

Je ne garde, de ces derniers instants, que le souvenir évanescent des goûts et des odeurs : verveine et menthe impérieuse qui envahissaient mon palais et grimpaient dans mon nez, où elles se mêlaient au parfum entêtant d'Alexandros et de son père. Miel, poivre, vin rouge et puissant et doré et sucré, senteur subtile et citronnée de la verveine... et mêlée à tout cela, celle, doucereuse et putride, du miasme qui prend la chair et l'enflamme.

Voilà de quoi je me souviens : de cela et des doigts d'Alexandros emmêlés avec les miens, alors que l'aide divine d'Hermês, maître des chemins, des bergers et des voleurs, me coûtait la vie.

Car dans son jeu, je n'avais été, depuis le début, qu'un pion sacrifiable.


La Flèche d'ArtémisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant