Livre IV - Chapitre 25 (3)

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Alexandros m'évita toute la matinée. Même quand il se tenait à mes côtés, il parlait peu, l'expression vague et lointaine ; quand il pensait que je ne lui prêtais pas attention, il me jetai parfois des regards furtifs, qui fuyaient dès que je les surprenais.

L'atmosphère était lourde, dans la maison, d'une lourdeur agréable, langoureuse. Il était évident que les habitants et les rares invités préparaient un événement connu de tous, sauf des quelques-uns, plus jeune, qui n'avaient pas encore été initiés. Je supposais que les adultes en avaient parlé à Alexandros, car il ne protestait pas de n'en rien savoir – moi, je sentais croître ma curiosité à mesure que je glanais les détails des préparatifs : les pains agrémentés de graines, les gâteaux au miel et, surtout, l'épais kykéon que faisaient bouillir un duo de femmes, dans un coin à l'écart de la cuisine où personne d'autre ne s'aventurait. Tout paraissait curieusement normal, détendu, comme si tout cela n'était qu'une agréable formalité, et non les préparatifs d'un rituel hérité de temps immémoriaux.

Plus bas, sur le coteau, séchaient les grands tissus colorés, où on surprenait encore le fantôme des éclaboussures de sang et de vin des années précédentes.

Des semaines, avait dit Philippos... je me doutais que je n'attendrai pas si longtemps, parce que la saison était là et que, l'année suivante, nous serions peut-être très loin, à guerroyer contre nos cousins du sud.

À l'heure la plus chaude, l'air nous écrasa sur nos couches. Alexandros prétendait qu'il dormait, à côté de moi ; le bourdonnement des abeilles qui dansaient autour des lavandes, sous notre fenêtre, passait par le volet entrouvert. L'instant s'étira en une douce éternité, ce genre d'éternité que seul l'été rend aussi lente.

Je refusai de m'égarer sur les lignes et les courbes de son corps étendu. Il avait jeté un bras sur son visage pour plonger ses yeux dans un noir absolu. Le reste, tout juste couvert par un chiton dégrafé qui ne couvrait que ses hanches, menaçait trop de m'assécher la bouche.

Enfin, au bout d'un moment, je le sentis s'asseoir, s'étirer ; je soulevai les paupières et admirai l'étendue de son dos. Il n'était, ne serait jamais grand, mais des muscles compacts roulaient sous sa peau, là où s'achevait la courte cascade de sa chevelure.

Sa voix s'éleva, basse, hésitante.

— Il faut qu'on parle... de... d'hier soir. De nous.

Il se tourna pour me regarder. J'avais la tête appuyée sur l'avant-bras ; ce regard me parcourut de la bouche jusqu'aux cuisses, avant de s'enfuir vers le coin opposé de la pièce.

Et je comprenais. C'était mon apparence, inaccessible, et en même temps celle d'Hêphaistion, vers qui je l'avais poussé.

Alexandros s'assit au bord du matelas. Ses cheveux tombaient devant son visage ; les avant-bras posés sur les genoux, il resta un long moment à se rassembler avant de continuer.

— Kleitos... m'a dit que... que le plus important, ce n'est pas ce que racontent les gens, dehors. C'est de parler de ce qu'on désir vraiment avec celui qui nous aime – que s'il nous aime vraiment, alors on peut se faire suffisamment confiance pour se livrer sans honte.

Il s'arrêta.

Ses ongles torturaient ses doigts, et les muscles de son dos s'étaient contractés.

J'attendis.

Et puis, au bout d'un moment, je demandai :

— Ça te fait honte, ce dont tu as envie ?

— Oui.

— Pourquoi ?

— Ce ne sont pas des désirs de roi.

— Ça n'a pas l'air de déranger Philippos.

La Flèche d'ArtémisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant