Livre II - Chapitre 15 (2)

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— Ce prince, est-il beau ?

Les autres enchérirent :

— Voilà bien longtemps que le Seigneur Apollôn et sa suite ne sont pas passés par notre vallée...

— Joue-t-il bien de la harpe ?

— Est-il de bonne compagnie ?

Je n'appréciai aucune de leurs questions. J'aurais peut-être dû leur préciser qu'Alexandros, comme tous les soldats de l'armée, avait des poux et portait un chiton raide de sueur, puisqu'on ne pouvait rien laver avec un temps aussi froid et humide. Cependant, quelque chose dans le rêve tirait mes pensées et les déroulait à la façon du fil d'une broderie : des doigts se saisirent, tirèrent jusqu'à ce que le fil entier échappe de la trame. Mon reflet disparut de la vasque d'eau argentée. Mes yeux s'écarquillèrent d'horreur alors que se rejouait le souvenir de notre première rencontre : Alexandros caressé par le soleil, nu et brillant, perché en haut d'un rocher avant de plonger avec une élégance d'hirondelle.

Il est beau, pensai-je alors, surpris de ne m'en rendre compte que maintenant.

Pourquoi fallait-il qu'elles aient tiré cette pensée-là, et pas celle d'Alexandros, assis sur son tabouret pendant que je lui épouillais la tête ?

— Il ressemble au Seigneur à l'Arc d'Or.

— En plus mortel !

— En moins chatoyant...

— Chante-t-il bien ?

— Non, il n'a plus de voix, répondis-je platement.

Je tentai de reprendre le fil, de me concentrer. Une odeur sucrée et florale imprégnait la clairière. Les nymphes tentaient-elles de m'embrouiller ? Hors de question de leur livrer Alexandros : je connaissais bien mes légendes. Les rois et les princes qui s'allongeaient pour une nuit auprès de ce genre déesses mettaient parfois des années à s'en débarrasser.

— Nous avons tous à gagner à ce que vous me donniez le remède pour que l'armée s'en aille. Si vous ne voulez d'aucune des récompenses que le prince pourrait vous octroyer, cette discussion n'ira nulle part.

— La vie de ton roi vaut-elle si peu ?

— Alexandros vaut bien plus. Je ne promettrais rien en son nom et si je retourne à ses côtés pour demander son avis, son père mourra avant que je puisse revenir pour le sauver. C'est sans issue.

Mes paupières étaient lourdes, si lourdes...

— Tu n'y mets pas du tiens.

— Vraiment ?

Je relevai brusquement le menton : ma tête aussi pesait une tonne.

— Vraiment, vous savez ? Si je n'y mettais pas du mien, maintenant que je sais à quel point ma présence souillée vous offusque, je demanderai au spectre qui me suit de faire crever vos arbres.

Un silence absolu s'abattit sur la clairière.

— Tu n'oserais pas !

— J'ai été envoyé pour protéger Alexandros, rétorquai-je. Ça tombe très bien : mon spectre aussi déteste l'idée qu'on lui fasse du mal.

— Nous ne le blesserons pas !

— Nous ne le garderons qu'un peu...

— Nous prendrons grand soin de son cœur et de son corps...

Une vague de jalousie, brûlante, me parcourut de part en part.

— Non, réponds-je fermement.

Je me remis debout. Tout s'assombrissait autour de moi ; j'étais certain que les ronces entre les troncs ne se trouvaient pas là à mon arrivée.

La Flèche d'ArtémisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant