Livre III - Chapitre 16 (5)

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Nous n'approchions pas de la sortie. Le palais nous le faisait même sentir, à sa façon : les escaliers descendaient pour nous mener sur de hauts balcons, d'autres montaient dans des caves, se tordaient, ou nous entrainaient dans des couloirs arpentés dix fois. Il devait y avoir une solution, mais nous ne l'effleurions même pas ; nous en avions à peine le temps. Quelque chose nous suivait. Si nous nous attardions pour inspecter une salle, des pas, pesants, arrachaient aux plafonds des grincements terribles. Ou alors, le sang gouttait des fentes entre les planches, visqueux, coulait vers nous, et nous suivait sur les mosaïques jusqu'à ce que nous repartions.

Jusqu'à ce que nous arrivions, sans que rien ne nous y ait préparé, dans des appartements d'une terne normalité. Luxueusement meublés, propres, dépourvus de mouches – un homme nous y attendait, mi-assis, mi-allongé sur un lit de repas. La ressemblance avec le prince Amyntas était d'autant plus frappante qu'ils avaient le même âge : une vingtaine d'année.

— Perdikkas, nota Philippos.

Sa voix était si plate qu'elle me mit aussitôt sur mes gardes. On ne salue pas ainsi un proche qu'on regrette, je crois... et le regard que lui adressa son frère Perdikkas, tout en mordant dans un grain de raisin, avait quelque chose des œillades froides qu'Alexandros employait pour éteindre les blagues qu'il trouvait vulgaires.

— Petit frère. Je t'en prie, fais comme chez toi.

Il désigna le lit de repas, face à lui. Contrairement à Philippos, qui avait choisi de ressembler à un soldat, Perdikkas était enroulé dans le drap digne et peu pratique des philosophes ; il portait aussi son diadème royal, que les souverains de Makedon ne portaient pourtant que pour des occasions très solennelles.

— Merci, répondit Philippos, mais nous sommes attendus ailleurs.

Perdikkas se redressa avec un sourire aimable, et rétorqua d'une voix d'une froideur de couteau :

— Ton roi te l'a demandé gentiment. Une fois. Il n'y en aura pas de deuxième, tu comprends ? Je n'ai pas de patience pour les garçons désobéissants, tu le sais, pourtant.

Il reprit un grain de raisin, du bout des doigts, et sans savoir pourquoi, je décidai que je détestais cet homme. C'était un instinct, aussi profondément ancré dans mon ventre que la haine immédiate qui me submergeait quand je pensais à Attalos. Quelque chose grouillait sous son vernis de politesse, ça se voyait aux frémissements de ses yeux et à quelque chose d'indéfinissable dans son allure.

Philippos insista :

— Perdikkas. S'il te plait. C'est une question de vie ou de mort.

— La vie, la mort : c'est un excellent résumé de ce qui nous lie, toi et moi.

— Sais-tu comment sortir d'ici ?

— Bien sûr. Vous êtes chez moi, vous en sortirez quand il me plaira.

— Alors...

— Alors, coupa Perdikkas, je te trouve très désagréable, petit frère. Tu viens d'arriver, cela fait quoi, vingt ans que tu ne m'as pas vu ? Et déjà, tu souhaites repartir. Tu ne me présentes pas ton ami, tu ne viens même pas m'embrasser. Quel parent détestable tu fais, mais enfin, pourquoi suis-je surpris ?

— Tu te méprends sur mon compte.

— Veux-tu partir ?

— Non, je dois...

— Alors assieds-toi, s'il te plait, puisque tu veux rester.

Le sourire revint. Je ne savais si la porte derrière nous était toujours ouverte – cela n'avait aucune importance, puisque nous ne pouvions pas revenir sur nos pas. Nous avions parfois dû passer par des fenêtres ou des balcons. Cette fois, il y avait bien une ouverture : deux battants immenses, comme ceux des tombes des nobles de Makedon, aux ferronneries incrustées de pierres semi précieuses. Perdikkas était assis entre elle et nous.

La Flèche d'ArtémisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant