L'obsession de l'évasion me reprit dès mon réveil, chassant les bribes éparses et terrifiantes du cauchemars. Je suivis les mouvements des autres pages vers les entrainements et nos corvées habituelles ; à un moment, je me retrouvai à apporter les boissons dans la salle du conseil où Alexandros, Antipatros et Philippos, traitaient des affaires courantes du royaume. J'épiais le roi un moment, mais il ne semblait ni se soucier de moi, ni plus imposant que les autres mortels de la pièce. Pourquoi Dionysos avait-il prit son apparence ? Parce qu'il paraissait naturel à un dieu de se vêtir d'un visage royal ?
Passée l'heure de mon service, vint celle des entrainement militaires de mon groupe de pages. Kleitos nous infligea ses habituelles manœuvres répétitives : marchez, arrêtez, tournez, abaissez les sarisses, formez les rangs ! Quatre lignes ! Huit lignes ! Tenez la formation, bande de mollassons ! Je détestais ces exercices abrutissants avec une intensité plus brûlante qu'à l'accoutumée. Je perdais un temps précieux... alors que les loups pouvaient s'abattre sur Térês à tout moment.
Nous avions un peu de temps libre à la fin de l'après-midi. J'abandonnai le palais, seul, pour descendre en ville acheter les vivres que je n'osais voler aux cuisines et des vêtements grisâtres, plus discrets que les tenues colorées de mon protégé. J'enroulai tout ça dans du linge ciré avant de partir à la recherche d'une cachette. Je ne trouvais pas mieux qu'un tas de pierres hérissé de chênes kermès aux feuilles tranchantes.
Le temps me coulait entre les doigts.
Il faudrait que cela serve. J'enterrais mon butin sous des pierres avant de repartir vers le palais. Le service du soir avait déjà commencé et Kleitos me récompensa d'une trentaine de respirations d'insultes fleuries à cause de mon retard ; je prétendis m'être perdu en ville pour couvrir mon absence et il me condamna à nettoyer le sol tâché de vin de la salle à manger du roi jusqu'à ce que les lampes arrivent à cours d'huile.
***
Le jour suivant, Philippos quitta Pella, accompagné des pages les plus âgés et d'un Pausanias absolument radieux – comme l'avaient prédi les commères le lendemain du banquet, le roi n'avait pas pu, ou pas voulu se débarrasser de son compagnon du moment.
Son absence ne changea rien à mon quotidien. Le matin : manœuvres à cheval, pendant lesquelles Alexandros fut placée au poste le difficile, à la pointe du losange de la formation équestre. Cela exigeait une monture dominatrice et sans peurs, à même d'être suivie par les autres jusqu'au contact avec les soldats ennemis.
On ne confiait jamais de telles responsabilités à des soldats aussi jeunes. J'entendis ricaner à la sellerie, dans le dos du prince :
— ... on voit qui est le fifils à son pappas. Chef de formation, avec du duvet aux joues ?
— C'est juste pour l'entrainement.
— J'espère bien, tu t'imagines la gueule de nos ennemis si on se range à la bataille avec lui à notre tête ? Ils vont se pisser dessus de rire.
— C'est le fils du roi.
— Et alors ? Amyntas n'a jamais été chef de formation, lui.
— T'inquiète pas...
— Je m'inquiète pas, je pense juste que certains vont bien rire quand il va se ramasser...
Agacé, je vins toussoter à l'entrée de la pièce. Le comparse de Démêtrios eut le bon goût de paraitre penaud, mais pas mon éternel rival, qui gagnait en confiance à chaque repas passé attablé près d'Amyntas.
— Vous n'avez pas honte ? cinglai-je.
— De ? rétorqua Démêtrios. Qu'est-ce qu'il y a, tu vas aller tout répéter à ton amoureux ?
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La Flèche d'Artémis
FantasíaAlexandre, fils de Zeus, est destiné à vaincre au nom de l'Olympe. Orestis, fils de personne, n'est que l'assassin qu'on a privé de nom. Sous l'identité d'Hêphaistion, un jeune noble désargenté dont il a pris la vie, il devra tout faire pour que le...