Livre III - Chapitre 18

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L'hirondelle, l'hirondelle

Ramenant la saison belle,

Et la bonne année avec elle !

Pour l'hirondelle au ventre blanc,

Pour l'hirondelle au ventre tout noir,

Donne à manger et donne à boire !

— Une chanson de l'île de Rhodes


***

Je m'éveillai très lentement, faible comme un enfant, dans le nid de couvertures où on m'avait enfoui. J'avais sur les lèvres un goût de miel : on m'avait sans doute nourri d'eau sucrée dans mon sommeil.

Je m'étirai, doucement. Mon ventre était gouffre affamé et assoiffé ; ma peau, elle, était terriblement sensible. Je m'immobilisai aussitôt. La sensation du lin de mon chiton contre mon dos me submergeait. Quelqu'un se rua à mon chevet ; sa peau, sur mon front, m'arracha un long tremblement de bonheur.

Vivant. J'étais vivant.

Je me recroquevillai et me laissai déborder par les larmes. Vivant, vivant vivant vivant. L'air dans mes poumons, l'odeur de ma propre sueur, les bruits du camp qui traversaient la toile de la tente... Avais-je jamais été aussi heureux ? On revint à mon chevet avec quelque chose qui sentait terriblement bon, et que j'avalai, en extase, sans même me rendre compte de l'identité de celui qui m'avait tendu l'écuelle. C'était un mélange d'orge bouillie, de fromage, d'épices et de vin chaud, épais et capiteux.

Ensuite, je retombai dans mes coussins et m'endormis.

Mon deuxième éveil fut un peu moins brumeux. Je m'étirai, puis humai l'air en quête de nourriture. Mon estomac était un fourneau vorace, impossible à rassasier. Des silhouettes bougèrent dans le carré lumineux, aveuglant de l'entrée. On venait vers moi. Je n'avais que trois choses en tête : boire, d'abord, puis manger, et enfin, qu'on me dise si Philippos avait survécu.

La silhouette avait deviné mon besoin le plus pressant. Je me jetai sur le gobelet et bu l'eau la plus divine de toute mon existence.

Puis, je reconnu mon visiteur. Je voulus prononcer son prénom. Ma voix resta coincée dans ma gorge ; je croassai une fois, toussai ; il me redonna de l'eau, et enfin je pus murmurer : Alexandros. Son visage se froissa. Comme si ce mot, à lui seul, mettait en pièce le contrôle de ses expressions. Ses yeux se mouillèrent, il éclata de rire, sourit alors qu'une larme perlait.

Je lui ouvris mes bras.

Son contact était insupportable d'intensité. La texture de ses cheveux sous mes doigts, le son de son rire, son odeur de miel et de foudre, l'éclat du rayon de lumière qui s'insinuait par la toile mal rabattue de l'entrée et qui caressait la peau de sa joue... Il y avait, dans ses yeux, toutes les teintes d'un ciel d'été.

Et son sourire, son sourire...

Nous ne trouvâmes rien à nous dire. Je me noyais dans un bonheur indicible, au-delà des mots, et il me fallut longtemps pour me calmer assez pour pouvoir reprendre de la mixture à l'orge. Il y avait aussi des raisins et des figues sèches et un peu de viande fraiche, grillée, si délicieuse que je recommençai à pleurer.

Ensuite, je me souviens d'Alexandros, caressant mon front et mes tempes avec des gestes d'une infinie douceur, alors que je sombrai que de nouveau dans le sommeil.


***

Le lendemain, j'étais assez sûr de ma résurrection pour redevenir à peu près sain d'esprit. Un rien me donnait envie de rire ou de pleurer, et mon corps restait à la fois trop lourd et trop léger, mais je parvins à suivre Alexandros jusqu'au pavillon royal, appuyé sur son bras et emmailloté dans deux manteaux.

La Flèche d'ArtémisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant