Livre II - Chapitre 15

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Je partis à travers bois avec l'impression d'avaler une grande goulée d'air pur.

Très vite, je retirai mes bottes pour sentir l'humus glacé sous mes pieds. Le silence plein d'oiseaux et de branches agitées par les vents me lavait l'âme : ici, je redevenais moi. Je pouvais tendre librement mon esprit vers celui, somnolent, de Melanthea ; j'inspirais les odeurs éveillées par le printemps. Les quelques arbres à feuille se paraient de bourgeons tendres ; la rosée, sur mon passage, tombait des branches et des fougères en gouttelettes argentées.

Je sentis, aussi, renaitre et gonfler la présence d'Hêphé.

Il m'apparut enfin, alors que je marchai sous les branches serrées d'immenses sapins, dans une ombre qui sentait la sève et la décomposition des aiguilles, molles sous mes pieds. L'horreur que j'avais ressentie lors de ses premières apparitions était lointaine, si lointaine... voilà des semaines que la promiscuité du camp l'empêchait d'apparaitre. Je le rejoignis près du tronc immense. Il se coula contre moi, froid et murmurant, et je serrai sa brume ténébreuse dans mes bras en inspirant parfum de pluie et de sel.

Après cela, je ne le vis plus, mais je sentais sa présence près de mon cœur. Je marchais seul dans l'étendue sauvage, et pourtant, avec lui et avec Melanthea, enfin réunis, je me sentais entier, pleinement moi.


***


L'escapade était plaisante, mais m'apaiser n'en était pas le but premier.

Je ne me faisais guère d'illusions sur mes capacités à trouver l'herbe par moi-même : il me fallait donc trouver une divinité locale et la convaincre de m'assister. Des plantes nouvelles crevaient partout le tapis de feuilles mortes ; le soleil mouchetait les troncs à travers les branches. Beaucoup de nymphes des bois hibernaient pendant la mauvaise saison et s'éveillaient au printemps, mais je parcourais encore la partie des bois où passent les humains pour chasser, mener les troupeaux d'une pâture à l'autre et ramasser le bois.

Je m'enfonçais de plus en plus profondément, sous des frondaisons de plus en plus épaisses où aucune chèvre ne mâchait les ronces, où personne n'y avait ramassé le bois mort qui, traitre, pourrissait en levant vers le ciel ses branches acérées. Je progressai bientôt avec une lenteur d'autant plus frustrante que j'avais l'impression que la forêt elle-même me résistait et me griffait de toutes ses brindilles.

Je m'arrêtai à la tombée du soir pour avaler mon repas. J'allais devoir dormir un peu, protégé par la garde de Melanthea, et répartir dès que Sélênê passerait par-dessus les montagnes.

Je n'avais pas allumé de feu. Le froid s'abattit très vite après la disparition d'Hélios. Tout en m'enroulant dans mon manteau de laine, j'offris du vin et une galette d'orge émiettée entre les racines d'un frêne monumentale, tout en récitant les prières que m'avaient enseignées les compagnes d'Artémis. Puis, je m'installai entre les racines noueuses et, la joue contre le tronc, fermai les yeux...


***


Je me réveillai pieds nus, vêtu d'un chiton d'une extrême simplicité. Mes vivres et mes armes manquaient, ainsi que ma cape et les bottes qui, tout le jour, m'avaient accompagnées nouées par les lacets à mon paquetage.

Je ne paniquai pas : je savais que je rêvais.

Cela ne signifiait pas que je ne risquais rien.

Je me tenais sur un sentier, au milieu d'une forêt brumeuse ; il commençait avec moi et disparaissait entre les troncs, hauts et droits comme des colonnes. Je n'avais guère le choix et décidai de suivre le chemin. Combien de temps l'arpentai-je ? Le temps ne semblait pas s'écouler et je ne distinguais ni les étoiles, ni la Sélênê. Une lumière faible et diffuse éclairait le paysage sans que je puisse définir sa provenance.

La Flèche d'ArtémisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant