Livre III - Chapitre 20

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J'avais besoin d'aide et, pour une fois, je décidai d'aller la chercher avant que la situation n'empire. Cela ne fut pas du goût des camarades de Ptolemaios, qui émirent des grognements désobligeants alors qu'il se prenait les pieds dans leurs membres endormis ; lui me suivit sans protester, et nous nous retrouvâmes plantés dans mes traces, au bord de la rivière. Je lui résumai notre rencontre avec Perdikkas dans le monde des morts, son apparition, ses menaces à l'encontre d'Alexandros. J'évitai les raisons de la colère du roi déchu ; je ne pus me passer de mentionner Hêphaistion, sans entrer dans les détails de l'horreur de ses funérailles.

Il m'écouta avec patience, en silence, sans s'étonner de mes yeux argentés, et si peu du reste que je me demandai ce que Philippos lui avait déjà révélé.

— Et il n'a aucune hostilité envers toi ? s'enquit-il.

— Non. Il est très affectueux et très loyal envers Alexandros. C'est grâce à lui que j'ai pu ramener le remède.

— C'est... inhabituel, conclut-il. J'avoue que ni Philippos, ni moi ne sommes familiers du rituel qui a été utilisé pour vous lier. Quant à Perdikkas... nous avons des alliés qui sauront nous en débarrasser...

Je me sentis léger de soulagement, jusqu'à ce qu'il ajoute :

— ... une fois que nous serons de retour à Pella.

— Mais nous n'y serons pas avant au moins trois semaines !

— Je sais. Si cela peut te rassurer, je ne crois pas qu'un fantôme puisse physiquement blesser Alexandros. Nous en discuterons demain avec les autres, mais si nous lui expliquons, s'il comprend ce qu'il se passe, il pourra essayer d'ignorer sa présence.

— Et Hêphaistion ?

— Je ne sais pas, admit Ptolemaios. Je n'ai jamais vu de fantôme en dehors de ceux qui rôdent lors des fêtes des morts, et encore moins de son genre. Mais je doute que Perdikkas s'attaque à lui ce soir : il l'aurait déjà fait.

Je ne le crus pas et, cette nuit-là, je restai sans dormir, appuyé contre le tronc d'un saule pleureur. Abrité par les roseaux et le rideau de branches souples, j'appelai Hêphé pour qu'il reste près de moi : je ne supportais pas l'idée qu'il lui arrive quelque chose, dans les ombres où mon regard ne portait pas.

La nuit passa, sans autre fracas que ceux des ailes d'un héron dérangé par les serviteurs qui, à l'aube, vinrent puiser l'eau.


***

Nous nous réunîmes dès l'aube, à l'heure où les palefreniers nourrissent les chevaux, où l'on avale un petit déjeuner copieux et où l'on replie les tentes. J'étais censé assurer le service ; autour de la table étaient assis Parmeniôn, Ptolemaios, Kleitos et Philippos, la jambe prise dans une attelle de bois. Ce dernier rebondissement ne leur coupait pas l'appétit : en bons soldats, ils pouvaient manger et dormir quelles que soient les circonstances.

Nous tentions de garder nos voix basses, pour que les hommes qui montaient la garde autour de la tente ne surprennent pas nos paroles.

— Pourquoi Perdikkas ? s'étonna Kleitos. Tes demi-frères, je comprends, mais lui ? C'est le seul que personne n'a assassiné.

Philippos mordit dans une datte séché, l'air sombre, avant d'avouer que ça ne s'était pas vraiment passé comme cela.

— Son cheval est devenu fou de terreur et l'a piétiné pendant la bataille, insista Kleitos. Ça ne ressemble pas à un assassinat.

— De ce que j'ai entendu dire, il avait la bave aux lèvres et il est mort juste après, sans aucune raisons, éclaircit Parmeniôn. Un étalon en parfaite santé, ça ne s'écroule pas comme ça. Honnêtement, je suis presque sûr qu'Antipatros a fait le coup : c'est lui qui a le plus profité de son élimination, quand il a fait couronner Amyntas, un enfant, au lieu de soutenir un adulte parfaitement capable d'assumer la couronne. Il avait des espions partout au palais, il aurait très bien pu faire empoisonner le cheval.

La Flèche d'ArtémisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant