Mais déjà, le festin commençait. Des flûtistes entamèrent une mélodie envoûtante alors que les pages les plus âgés apportaient, en les portant sur leurs épaules, d'énormes plateaux couverts de gibier fumant ; Pausanias m'attrapa alors qu'il repartait vers les cuisines.
Je me laissai entraîner.
Il éclata de rire, amusé sans doute de ma naïveté de campagnard...
— Quand le roi est au palais ? ... mais toute la nuit, mon ami !
Impossible. Je devais tuer Euboulos avant que la prêtre de Dionysos me convoque et m'accuse de ne pas avoir rempli ma mission – et Euboulos vivait à l'autre bout de Pella. Si je partais au crépuscule, je pouvais espérer rentrer avant l'aube...
Pausanias interrompit le flot de mes pensées :
— Tu sais, Hêphaistion, je ne te comprends pas... tu n'as qu'à tendre la main pour saisir l'une des opportunités les plus juteuses du royaume et toi ? Tu fricotes avec ce boulet de Térês.
— Nous ne fricotons pas, le contredis-je d'un ton qui n'invitait pas de réponse.
— Qu'est-ce que cela change ? insista Pausanias. Tout le monde le croit, Alexandros inclus.
— Et alors ? Ce que je fais dans mon lit ne le concerne pas.
Mon camarade s'arrêta, me dévisagea, haussa un sourcil étonné et finalement : éclata de rire.
— Pas croyable, vraiment pas croyable !
Je répliquai d'un silence obtus ; lui s'adossa contre le mur. Une grosse colonne nous protégeait un peu du défilé de serviteurs et de pages qui, comme une armée de fourmis, ravitaillaient le banquet.
Il pencha un peu la tête vers moi, d'un air de conspirateur.
— Hêphaistion, puisque tout te survole comme un vol d'étourneaux d'hiver, je vais te l'épeler : tu p-l-a-i-s au prince. Ça se voit comme le joli né bronzé au milieu de ta figure.
— Foutaises, rétorquai-je en m'écarta pour partir.
Il me retint d'une main sur le bras. Un jour, je finirai par le mordre, tant ses manières trop tactiles agaçaient ma pudeur.
— Il te guette, il se vexe quand tu ne t'intéresses pas à lui, ton intérêt pour Térês l'enrage... il crame de jalousie et ton indifférence ne fait qu'attiser la flamme !
— Tu as trop d'imagination.
— Je ne suis pas le seul à le croire.
Je me libérai d'une poussée de l'épaule. Qu'ils continuent à se complaire dans leurs racontars : ce n'était que le cadet de mes soucis. Il y en a qui tueraient pour être à ta place.
— Je ne suis pas intéressé. Combien de fois faut-il que je te le répète ?
Pausanias secoua la tête. Je voulais gifler son petit sourire suffisant, mais j'aurai sans doute attiré l'attention.
— Très bien, concéda Pausanias. Mais rends-toi compte qu'en devenant l'amant du prince, Hêphaistion, tu augmenterai de beaucoup le statut de ta famille... qui en a bien besoin, je me trompe ? Et pour quel prix ? Franchement, Alexandros est beau garçon.
— La place est libre si elle te tente.
Il s'esclaffa, se décolla de son mur ; je sentis qu'enfin, il allait me laisser tranquille. Cependant Pausanias était ce genre de personnes qui s'amusent d'avoir le dernier mot même quand ils devraient se taire et il conclut, d'un ton très amusé :
— Oui mais moi, j'en ai marre des petits puceaux, déclara-t-il comme si, à dix-neuf ans, il avait tout vu, tout fait. J'ai envie d'un homme, un vrai... et j'y travaille.

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La Flèche d'Artémis
FantasyAlexandre, fils de Zeus, est destiné à vaincre au nom de l'Olympe. Orestis, fils de personne, n'est que l'assassin qu'on a privé de nom. Sous l'identité d'Hêphaistion, un jeune noble désargenté dont il a pris la vie, il devra tout faire pour que le...