Le ciel s'éclaircissait lorsque j'ouvris les yeux, se teintait de nuances douces au-dessus des plumets des roseaux. La rosée imbibait mes cheveux et mes vêtements ; malgré cela, je n'avais pas froid, et aucun désir de bouger du berceau de racines où j'avais perdu connaissance.
Pourtant, une douleur sourde, tiède, habitait mon avant-bras... et quelqu'un dormait sur ma poitrine. Sa tête couverte de boucles sombres pesait au-dessus de mon cœur ; ses doigts repliés sur l'écorce, près de mon flanc, étaient de la couleur de ma peau.
Il senti mon réveil, releva la tête.
C'était moi.
Moi, avec, en moins, les dix mois que je lui avais volés ; lui, quand il avait chuté sur la terre asséchée par l'été, ses beaux yeux noirs vitreux, ouverts, aveugles. Vidés par la mort.
Il cligna des yeux. Des yeux de fille, avec ses très longs cils. Je compris tout ce que les autres garçons avaient pu dire sur ma beauté : il était splendide, le nez parfait, les pommettes hautes et douces, le front dégagé, les lèvres juste assez charnues. Une vraie statue, comme on en élève à la gloire des dieux.
— Tu es vivant, soufflai-je.
Une joie immense me submergea. Je répétai avec émerveillement : tu es vivant tout en portant la main à ce visage que je détestais sur moi et que j'adorais sur lui. Je l'attirai dans mes bras, je chantai, pris d'une ivresse incroyable (vivant ! vivant ! tu es vivant !), et je crois qu'aucun instant ne fut plus léger de soulagement que celui-là. J'aurais pu m'envoler jusqu'au char d'Hélios ; mais ceux qui s'y étaient essayé avant moi, leurs ailes de cire avaient fondu dans la chaleur des cieux, et ils s'étaient écrasés sur la terre dure et assoiffée de leur sang.
Moi aussi, je chutai.
Ses mains se refermèrent autour de ma gorge. Choqué, je mis un moment avant de tenter de me défendre. Je lui agrippai les avant-bras et tentai d'y enfoncer mes doigts – je sentis des ongles s'enfoncer dans ma peau, jusqu'à l'os et les tendons. Je le frappai à l'intérieur des coudes pour tenter les faire plier ; dans le creux des miens, une force invisible me frappait. Des larmes remplissaient ses yeux, grosses comme des perles. Son visage se tordit de douleur.
Enfin, il me lâcha et tomba, assis, près de mon corps qu'agitaient des hoquets de noyé. J'avalai l'air alors qu'il se tâtait la gorge. Il nous fallut de longues respirations pour comprendre...
Un hurlement de rage jaillit de sa bouche, souleva une volée d'oiseaux. Le battement de leurs ailes survola les terres humides alors qu'Hêphaistion enfouissait son visage dans ses mains. Un nouveau hurlement filtra d'entre ses doigts ; le dernier, il le lança vers le ciel, la nuque tordue au point que j'en sentis la tension dans les tendons de mon cou. Son expression se figea, les lèvres encore entrouvertes. Je ne savais que faire. Que dire. Sa haine m'avait transpercée. Avait brisé quelque chose – mes illusions qu'il ne m'en voulait pas, qu'il m'avait pardonné, et s'il m'avait pardonné, alors peut-être pouvais-je entretenir le fol espoir que moi aussi, je pourrais renoncer à me détester.
Mais non. Évidemment, je ne représentais rien d'autre pour lui que l'arme, que l'assassin, que le monstre – et il ne pouvait même pas me tuer, même pas se venger.
Je restai couché dans les racines à me masser la gorge ; puis, je ramenai mes jambes contre moi alors qu'il faisait de même. Il enserra ses genoux de ses bras et y enfonça son visage. Je m'enlaçai plus fort. J'avais l'impression de couler. Il allait parler à Alexandros, il allait lui dire à quel point j'étais affreux ; j'avais échoué une fois de trop et les maîtresses de mon ordre me puniraient. J'avais perdu Hêphé et gagné un ennemi implacable.
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La Flèche d'Artémis
FantasyAlexandre, fils de Zeus, est destiné à vaincre au nom de l'Olympe. Orestis, fils de personne, n'est que l'assassin qu'on a privé de nom. Sous l'identité d'Hêphaistion, un jeune noble désargenté dont il a pris la vie, il devra tout faire pour que le...