Livre I - Chapitre 6 (3)

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Je suivais Alexandros vers les officiers assemblés, parce que je n'avais rien d'autre à faire que de trainer après lui, quand il s'arrêta. Un petit groupe sortait d'un couloir ; à leur vue, le prince pila, si brusquement que je me retrouvai à sa hauteur.

Il serra les lèvres et les poings. En retrait, parmi les nouveaux venus : quelques serviteurs. Devant eux : des nobliaux aux chitons brodés et aux boucles bien huilées, à moitié inconnus, à moitié de Mieza... des garçons des basse terre, ceux qui rejoignaient rarement Alexandros à la bibliothèque. Ils suivaient un jeune homme, la vingtaine bien entamée, que j'avais vu assis à la gauche de Philippos lors du banquait. Hêphaistion le replaçait : Amyntas, le neveu du roi, celui qui aurait hérité du royaume si Philippos n'avait eu aucun fils. Et près de lui... un vieil adolescent, d'un âge indéterminé, le visage et les membres adoucis par l'embonpoint.

Les deux hommes nous aperçurent en même temps. Un fin sourire souleva la lèvre d'Amyntas, d'un seul côté, alors que le visage de l'autre s'éclairait d'une expression enfantine.

— Alekos !

Sale fiente de... murmura Alexandros, la voix tremblante de rage.

Les bras de l'adolescent se refermèrent sur lui, là, en plein milieu de la terrasse, bien en vue des officiers. Il avait les mêmes yeux que le roi, les mêmes cheveux noirs et bouclés – et absolument rien de sa vivacité. Quand Alexandros le repoussa, l'adolescent se laissa faire avec de grands yeux ronds.

— Tu es rentré !

— Oui, Arrhidaios, mais...

— Je t'ai fabriqué un cadeau ! (Il sortit d'un sac qui lui pendait à l'épaule un petit cheval de bois sommairement taillé.) C'est pour toi ! C'est Bouké !

Il lui tendit le jouet jusqu'à ce qu'il frôle la poitrine d'Alexandros. Il avait un début de barbe qui descendait des tempes et mesurait une paume de plus que le prince, et je me souvins alors des cours de mon père : dans la ligne de succession vient d'abord Alexandros, puis Amyntas, puis le premier fils du roi – mais on ne parle pas du premier fils du roi.

Alexandros jeta un regard en coin aux officiers assemblés autour de la rambarde, à son frère aîné, à son cousin qui arrivait enfin à leur niveau. Il attrapa le petit cheval, manqua se pincer la lèvre, se redressa avant de dire, avec un semblant d'autorité :

— Arrhi, tu ne devrais pas être là.

— Il a appris que tu étais rentré hier, intervint Amyntas. Il voulait te voir, puisque tu n'es pas venu, toi.

— J'étais occupé.

— Tu m'as manqué ! s'exclama Arrhidaios.

Il tenta une nouvelle étreinte, qu'Alexandros toléra pendant deux respirations avant de le repousser de nouveau, les joues en feu.

— Arrête, Arrhi, je travaille. (Puis, à son cousin...) C'est toi qui lui a mis en tête de venir ici ?

— Moi ? s'étonna Amyntas avec un air si faussement innocent qu'il en était moqueur. Non. Nous petits-déjeunions ensemble, il m'a dit que tu n'étais pas venu, alors j'ai pensé...

Il haussa les épaules avant de conclure :

— C'est notre frère, tout de même. C'est vache de ne pas...

— Arrhi ! tonna une grosse voix dans leur dos. Mais c'est que ça faisait longtemps !

Je n'avais jamais été heureux, avant ce moment, de voir débarquer Kleitos et son visage buriné. Il passa un bras droit couturé de cicatrices sur les larges et molles épaules d'Arrhidaios, dont le visage s'éclaira de la même joie simple qu'il avait éprouvé à la vue d'Alexandros.

La Flèche d'ArtémisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant