Je l'écartai de moi, doucement, pour qu'il voit mes yeux, mon visage.
— Je ne peux pas accepter ton serment. Ce ne serait pas bien, ce serait... profiter de toi, alors que tu n'es pas entièrement toi-même.
— Et pourquoi ? Parce que si j'avais tous mes souvenirs, ça ne me révolterait pas ?
— Parce que j'ai de l'affection pour toi, et qu'on n'abuse pas de ceux qu'on aime. Mais je... (Je pressai doucement mes doigts contre ses épaules.) Mais... merci. Merci, tu... tu es le premier... le premier à me voir.
Le premier pour qui j'existais, séparé d'Hêphaistion, et pour qui Hêphaistion existait, séparé de moi.
Il me passa les bras au cou et m'étreignit, une nouvelle fois. C'était presque douloureux, effrayant d'émotions. Comme les flammes d'un feu brûlant dans une nuit trop froide.
Nous nous écartâmes, pris, je crois, du même pressentiment : un goût de lait et de miel sur la langue, précédant un tintement de clochette presque imperceptible et, enfin, l'apparition d'Hermês.
Il haussa un sourcil, le regard rivé sur Philippos.
— Ce qui est bien avec toi, c'est qu'on ne s'ennuie jamais.
— Pardonnez-nous, Messager des Bienheureux, répondis-je, c'était un accident, il est...
— ... tombé dans les eaux du Léthé ? Vous avez bien trainassé, tous les deux.
— Nous cherchons le peuplier blanc, pour...
— Vous n'avez pas le temps, les enfants. Vous devez atteindre la porte le plus rapidement possible ou vos corps mourront. Je vais aller vous remplir une petite gourde et je vous rejoindrai à la porte... vous avez compris comment atteindre la porte ?
Nous répondîmes à l'unisson :
— Oui.
Le dieu cligna des yeux.
— Alors que faites-vous encore... est-ce important ? Je ne pense pas. Un petit détail, tout petit... (Il en mima la petitesse avec les doigts.) Lorsque je serais parti remplir la gourde, les limiers trouveront votre piste. S'ils vous tombent dessus...
Il haussa les épaules, levant les mains, l'air de dire qu'il ne pourrait plus rien pour nous.
— ... J'espère que vous aimez la course !
***
Une compagnie ne marche jamais plus vite que son soldat le plus lent.
Kleitos n'avait cessé de nous le répéter, en houspillant ceux d'entre nous qui ne mettaient pas de cœur lors des exercices d'athlétisme, comme ceux qui prétendaient se la jouer solitaire. Cela m'avait frustré, moi qui attendait toujours les autres.
Cette fois, nous étions tous les deux les plus lents, à notre façon : mes capacités me rendaient bien plus rapide et endurant que Philippos, mais lui seul imaginait un avenir assez riche, assez concret pour que le chemin continue à s'élever. Lorsque je m'y essayais pour épargner son souffle, mon esprit ne conjurait qu'un grand vide noir, sanglant, où ne vivaient que les mouches et les charognards.
Les limiers se rapprochaient. Je ne pouvais ni les voir ni les sentir, mais mes poils se dressaient sur ma nuque et mes avant-bras, et nous entendions parfois de longs hululements dans notre dos.
Il fallait accélérer, et pour cela, il fallait que j'offre à manger à ce sentier vorace. Mais quoi ?
— Ce serait... bien... que tu... trouves... haleta mon ami. O Zeu... j'aurais dû... plus... course...

VOUS LISEZ
La Flèche d'Artémis
FantasyAlexandre, fils de Zeus, est destiné à vaincre au nom de l'Olympe. Orestis, fils de personne, n'est que l'assassin qu'on a privé de nom. Sous l'identité d'Hêphaistion, un jeune noble désargenté dont il a pris la vie, il devra tout faire pour que le...