Je passai l'après-midi à étudier à la bibliothèque, comme tous les jours depuis mon arrivée à Mieza.
Je n'avais jamais rencontré de philosophe et craignais que ma culture laisse à désirer. Je n'osais compter sur les souvenirs d'Hêphaistion : ils allaient et venaient, capricieux, parfois insaisissables, souvent vaporeux. Cela ne tiendrait pas face à un expert. Il fallait au moins fluidifier ma lecture. Je me repliai sur deux textes au style direct et sans apprêt : l'Anabasis et la Kurou Paideia de Xenophôn, grands classiques qu'Alexandros admirait presque autant que l'Ilias. Mon acharnement à m'épuiser les yeux sur la prose de l'auteur athénien ajouta à ma réputation d'orgueilleux l'adjectif de « psalmodieur », puisque ma maîtrise bancale des lettres m'obligeait à murmurer ce que je lisais.
— Tu descends au village ? me proposa Pausanias, au milieu d'un chapitre terriblement ennuyeux.
Son souffle sentait toujours la gomme de Khios et moi, je devais travailler.
— Tu es si sérieux, Hêphaistion, c'est admirable.
Dans mon dos, j'entendis rire Démêtrios.
— En même temps, quand on a ni nom ni argent !
La main de Pausanias glissa de mon épaule ; le silence succéda à ses gloussements.
Je ne me souciai pas de leurs commentaires. J'avais commis une première faute en dévoilant les talents d'archerie de mon Moi-Orestis, alors que mon Moi-Hêphaistion n'aurait pas dû maîtriser cet art ; je ne pouvais me montrer inepte en poésie et en Histoire... et ce, malgré la pénibilité de l'entreprise. Je n'avais jamais passé de longues heures piégé sur un tabouret, le dos plié, les coudes soudés à la table ; or il n'y avait qu'ainsi que je parvenais à poursuivre mes lectures : toute autre position invitait mon attention à divaguer vers la promesse des bois, au-delà des fenêtres bardées de croisillons.
Ce soir-là, je pensai à la lettre ; puis, je fermai les yeux, et je m'envolai dans la nuit pour la chasser de mon esprit.
***
Le lendemain, Alexandros se présenta à la carrière avec un autre cheval : un grand bai dont la robe sombre était striée de cicatrices blanches. Épais, calme, l'animal évoquait un chêne bien ancré ; il bougeait à peine une oreille quand on s'agitait à ses côtés, et ce malgré les murmures qui naissaient dans son sillage.
— C'est le cheval du roi ! babilla Térês.
Je ne répondis pas, occupé que j'étais à curer les pieds de sa monture du jour.
— Il le montait à la bataille du champ des Crocus !
— Ça lui fait quel âge ?
La bataille en question avait eu lieu treize ou quatorze ans auparavant – je n'étais pas certain de la date, mais cela signifiait que la monture d'Alexandros avait passé l'âge de la guerre.
— Je sais pas. La vingtaine ? Il l'a offert à Alexandros quand il est venu à Mieza, mais Alexandros ne monte que Bouképhalas. Moi, j'adorerai monter Khairéphon, j'ai vu Kleitos le travailler... Kleitos a le droit car c'est un peu, disons, l'oncle adoptif d'Alexandros ou quelque chose comme ça, il est très proche du roi...
Je fis le tour du cheval pour changer de sabot. Je me fichais bien des rapports familiaux des uns et des autres – à la cour, j'avais l'impression que toute personne que Philippos appréciait devenait l'oncle ou le cousin de son fils, même quand aucun sang ne les liait.
Térês ignora mon soupir agacé.
— Le roi ne monte toujours que d'excellents chevaux ! Il a d'immenses troupeaux...

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La Flèche d'Artémis
FantasyAlexandre, fils de Zeus, est destiné à vaincre au nom de l'Olympe. Orestis, fils de personne, n'est que l'assassin qu'on a privé de nom. Sous l'identité d'Hêphaistion, un jeune noble désargenté dont il a pris la vie, il devra tout faire pour que le...