Livre II - Chapitre 9 (4)

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Bien entendu, les négociations échouèrent.

Nous repartîmes au matin. Une brume morne flottait entre les chariots ; quelque part dans le lointain, une femme chantait un air entêtant aux paroles incompréhensibles. Je me surpris à le fredonner alors que le camp s'effaçait dans l'horizon gris. Nous chevauchâmes un long moment dans un monde aux contours flous, sans bruits autres que celui des sabots de chevaux sur la terre moite et les croassements occasionnels des corbeaux.

Nous tendions l'oreille à nous crever les tympans. À un moment, nos chevaux s'agitèrent. Un lourd bruit de pas martela le néant avant qu'une énorme forme noire se dessine. Le bison ne s'approcha pas assez pour que nous en distinguions les détails ; nous talonnâmes nos montures et mirent de la distance entre nous et ce géant du fond des âges.

À partir de là, mes camarades accélèrent : personne n'avait encore tenté de nous assassiner, mais cette brume, les sons étouffés dans le lointain qu'on ne pouvait relier à rien, tout cela nous asphyxiait. Athéas pouvait très bien changer d'avis et décider qu'il gagnerait plus de temps en nous faisant disparaitre qu'en laissant les négociations suivre leurs cours.

Nous allâmes ainsi pendant trois jours. Notre appréhension ne refluait que lorsque nous quittions la plaine pour nous réfugier dans les comptoirs helléniques ; et encore, nous montions la garde à tour de rôle à la porte de notre chambre.

Ils nous attaquèrent avant les montagnes.

Elles marquaient l'horizon, au sud, en courbes rondes et hérissées d'arbres nus ; le soir s'annonçait et le ciel, derrière elles, se striait de longs nuages cuivrés. Melanthea suivait la course de la bande depuis l'après-midi : une dizaine d'archers à cheval, la selle décorée des scalps séchés. Je n'eus aucun moyen de prévenir mes camarades de leur présence avant que leurs silhouettes ne se détachent au sommet de la colline opposée à celle que nous gravissions.

— Plus vite ! ordonna notre chef.

Nous serrâmes les cuisses pour encourager nos chevaux. Notre étape nocturne se profilait et nous avions encore nos chances de l'atteindre sans combattre. Nous n'étions pas certains que cette troupe cherchait l'affrontement ; nous ne voulions pas rester pour le découvrir. Nos montures fatiguées renâclaient. Nous atteignîmes le sommet pente alors que nos poursuivants l'entamaient. Leurs quolibets portent jusqu'à nous.

En haut de la colline, le vent couchait des bouquets entiers de perce-neiges.

Je restai à fixer leurs têtes penchées. Elles s'agitaient avec douceur ; leur éclat émeraude alluma quelque chose dans ma poitrine. On m'appela, devant.

Je mis pied à terre.

Je ne comptais pas passer ma vie à fuir. Je comprenais le choix de mes camarades : face à des archers à cheval, ils avaient peu de chances de vaincre avec les quelques javelots dont ils disposaient. Je récupérai la corde de mon arc dans la poche de cuir dans laquelle je la gardai et la nouai aux extrémités des branches de bois. Combien de cibles ? Dix ? J'avais emporté un carquois de trente flèches.

Les cavaliers scythes m'avaient vu faire. Leurs rires montèrent de la colline jusqu'à moi. Au sud des monts de Thraké, nous jouissions d'une piètre réputation d'archers, et puis n'avais pas l'air d'un jouvenceau ? De toute façon, nous n'étions que de lâches aux yeux de ces gens, dont les femmes guerroyaient et dont les enfants apprenaient à monter dès qu'ils commençaient à marcher.

Je tirais cinq flèches bien empennées de mon carquois et les plaquai contre la poignée de mon arc, prêtes à l'usage. La sixième, dans ma main, je l'encochai tout en levant mon arme vers les cieux zébrés d'or.

La Flèche d'ArtémisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant