Livre II - Chapitre 11 (4)

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Le lendemain, Pausanias fut transféré dans la garde personnelle d'Alexandros. Il se présenta avec son paquetage, suivi de son palefrenier et du mulet qui portaient le reste de ses affaires, l'air piteux sous les regards moqueurs de ses anciens compagnons de Mieza.

Je n'eus pas le temps de le rejoindre : Kleitos apparu à sa suite, à grands pas qui dévoraient l'espace spongieux de la morne plaine.

— Je cherche Hêphaistion Amyntoros, clama-t-il une fois à hauteur des cendres de notre feu de camp de la veille.

Les autres se tournèrent aussitôt vers le chariot que je partageai avec Alexandros. Assis dans l'ombre de l'entrée, je tentais de démêler ses cheveux et de les décrasser en y passant un peigne très fin pour retirer la poussière ; il avait accepté mon aide avec un simple hochement de tête et sans croiser mon regard.

Je lui tendis l'objet, puis me présentai à Kleitos.

— Suis-moi.

Je suivis. Il sortit du cercle de notre camp à un rythme assez lent pour me laisser tout le temps de macérer dans l'inquiétude que sa convocation était sensée provoquer.

— Tu as une idée de ce que tu as fait, cette fois ? me demanda-t-il en piétinant dans la boue, les pouces glissés dans sa lourde ceinture de Compagnon du roi.

— Aucune, avouai-je.

Mais je me doutais qu'il ne s'était pas déplacé pour chanter mes louanges.

— Tu es devenu très proche d'Alexandros.

— Je ne vois pas en quoi cela te concerne, maugréai-je.

Il s'immobilisa. Son teint rougissait sous son hâle, comme toujours quand ses élèves l'agaçaient – ses sourcils n'étant pas encore assez rapprochés pour créer une barre d'un seul tenant, nous n'en étions pas encore à une franche colère.

— Ne joue pas à l'idiot, tu peux t'estimer heureux que ce soit moi et pas Parmeniôn ou Philippos qui te tombe dessus avec ça.

Mais de quoi vous vous mêlez, tous ?

J'en avais assez de cette famille incompréhensible, dont les liens de sang et d'adoptions étaient aussi confus qu'une pelote laissée aux soins d'un chat cruel.

Morose, je baissai le regard jusqu'à ce qu'il tombe sur les pieds de Kleitos. Quand il entrait dans ce genre d'humeurs, le meilleur moyen d'abréger la corvée était d'attendre sans résistance que son ire s'épuise.

— Bien. Reprenons : tu es devenu très proche d'Alexandros. Cela ne posait pas de problème... jusque-là. Tu comprends la connerie que tu as faites ou est-ce qu'il faut que je te l'épelle ?

— J'ai exigé qu'Alexandros prenne Pausanias à son service, marmonnai-je.

— Et en quoi est-ce un problème ?

On l'a vu me courir après à travers le camp.

— C'est à lui d'exiger. Pas à moi.

— Exactement. Alexandros est notre futur chef de guerre. Tu comprends qu'un homme qui se laisse conquérir par un autre ne sera jamais suivi par la troupe ? Réponds-moi, quand je te parle.

— Oui. Je comprends.

Même si je n'avais absolument rien fait pour le conquérir.

— Tu comprends ce qui arrivera, si Alexandros est jugé indigne d'être élu roi par l'Assemblée ?

Oui : des sept fils du roi Amyntas, un seul vivait encore. Philippos, après avoir survécu à ses aînés ; Philippos, après avoir massacré ses cadets et ceux de ses cousins qui lui avaient contesté le trône.

— Oui.

— Alors ?

— Je te promets que ça ne se reproduira plus.

— Bien.

Puis, à ma grande surprise, il m'attrapa la main, la tint devant lui et déclara :

— Tu t'es soigné ?

— Non.

Ma Dia, mais qu'est-ce que tu es con, toi, quand tu t'y mets ! Tu attends quoi, d'avoir les mains trop abîmées pour tenir une arme ? T'as envie que les engelures s'y mettent ? Et tes pieds, tu les gardes au sec ?

— Oui, répondis-je, maussade. Tu nous répètes tous les jours qu'il faut garder ses pieds au sec. Je ne suis pas stupide.

— Ah bon ? Tu fais bien semblant, pourtant. Retourne donc plier votre camp... ah, une dernière chose.

Il m'attrapa l'épaule pour me retenir et, cette fois, ses sourcils barraient son visage, et je sus qu'il ne me le pardonnerait pas si je n'obéissais pas à ce dernier ordre.

— Sois gentil avec Alexandros. C'est le prince, mais c'est aussi juste un garçon. Tu comprends ?

De quoi je me mêle ? C'est pas parce que tu as été le giton préféré de son père il y a vingt ans que tu peux te permettre de...

Mais je n'étais pas assez stupide pour lui balancer ça alors, qu'au fond, il voulait seulement protéger son neveu adoptif.


La Flèche d'ArtémisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant