D'ombre en ombre, de toit en toit, j'atteignis le balcon de sa chambre. Je passai devant les volets entrouverts de celle d'Arrhidaios avant d'atteindre la sienne. Il avait fermé les battants qui donnaient sur le balcon, mais pas ceux de la fenêtre au-dessus du vide. Je bondis, accrochai mes doigts au bord du toit ; un garde passa dans la cour en contrebas, sans lever la tête, alors que j'atteignais l'ouverture et me contorsionnais pour m'y glisser, avec une inhumaine agilité de chat.
La pièce m'apparut en camaïeux de gris. Plus petite que celle d'Arrhidaios, elle était à peine meublée, décorée des tapisseries aux motifs géométriques troués par le temps. Mes pieds atterrirent sur une couche d'épais tapis ; une odeur de lavande émanait des coffres à vêtements alignés contre le mur, mêlée à celle, toujours sucrée, de l'ichor dans les veines d'Alexandros.
Il dormait couché sur le dos, parfaitement droit, les mains posées sur son ventre ; si droit, si sage, à la façon des cadavres apprêtés pour que les voisins viennent présenter leurs respects. Le fil est d'une incroyable brièveté. Je restai planté à regarder sa poitrine. Elle se soulevait, lentement, régulièrement. Pourquoi l'idée de sa mort m'attristait-elle ? On m'avait envoyé pour le servir, pour qu'il accomplisse le plan des dieux. Qu'importe que cela lui coûte la vie ou que j'y perde la mienne, tant que nous atteignions notre but ; qu'importe que Térês meurt. Un guerrier des dieux ne devait penser qu'à ça : l'accomplissement de la volonté divine.
Et pourtant... je déglutissais péniblement. Il a bien trop peu de temps – Alexandros avait encore les joues lisses et douces, et ses paupières closes adoucissaient ses traits en voilant son regard toujours trop dur.
Je raffermis mon cœur et m'assis au bord du lit, avant de tendre une main vers son épaule pour le réveiller.
Il ouvrit les yeux, mollement, s'étira sur son matelas, mollement ; puis le sommeil le relâcha et ses instincts frappèrent. Il se tendit d'un coup, s'éloigna de moi, plongea la main sous son oreiller, pointa vers moi une lame aussi dénudée que sa poitrine.
— C'est moi, dis-je calmement.
J'entendais battre son cœur, trop fort et trop vite.
— Qu'est-ce que tu fais là ? Tu es fou ?
— Je suis désolé. J'ai été retardé.
— Qu'est-ce que tu fais là ? répéta-t-il en se couvrant avec le drap.
Son geste me parut absurde. Je l'avais déjà vu nu, au gymnase et aux bains ; habituellement, c'est moi que cela gênait.
Je répondis, avec un long clignement de chouette, que nous avions convenu que je le retrouverai cette nuit.
— Mais qu'est-ce qui ne va pas chez toi ? Tu ne pouvais pas me prévenir, me donner un lieu de rendez-vous ? J'aurais pu te poignarder !
— Tu n'es pas assez rapide pour ça.
— J'aurais pu appeler les gardes ! Je devrai appeler les gardes !
Il ne les appela pas, ne leva pas la voix, ne baissa pas son arme. Une odeur de foudre me piquait le nez ; mes poils se dressèrent sur mes bras et ma nuque.
— Tu voulais que je te montre. Nous n'avons pas beaucoup de temps : ce sera plus compliqué pour moi de rejoindre le dortoir quand le ciel commencera à s'éclaircir.
— C'est tout ce que tu as à me dire ?
— Oui.
— Tu entres dans ma chambre sans mon autorisation et ça ne te pose aucun problème ?
Ça aurait dû, et je l'aurais compris si je n'avais pas été aussi contrarié par ma rencontre avec la prêtresse : j'étais Orestis, presque entièrement Orestis, et en effet, je n'avais même pas envisagé que celui puisse être anormal.

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La Flèche d'Artémis
FantasyAlexandre, fils de Zeus, est destiné à vaincre au nom de l'Olympe. Orestis, fils de personne, n'est que l'assassin qu'on a privé de nom. Sous l'identité d'Hêphaistion, un jeune noble désargenté dont il a pris la vie, il devra tout faire pour que le...