Je passai l'après-midi avec Térês. Je l'interrogeai sur les domestiques et le fonctionnement de la garde d'Alexandros tout en visitant le domaine ; sans surprise, il me déballa tout ce dont un étranger aurait besoin pour menacer le prince.
Notre promenade nous amena jusqu'au bord de la carrière. Nous appartenions tous à l'aristocratie de Makedonia, si bien que notre horizon le plus prévisible était la cavalerie des Compagnons du roi ; tous mes camarades ou presque considéraient leur cheval comme leur possession la plus précieuse à Mieza et ils s'entrainaient assidument arts équestres à Mieza.
C'est à cela qu'Alexandros était occupé quand nous le trouvâmes, seul au milieu des volutes de sable que soulevait un grand cheval noir qu'il tenait en longe. L'entraînement durait depuis un moment, car une sueur grise maculait les flancs de l'étalon.
Nous avançâmes jusqu'à la barrière du cercle de travail ; j'appuyai mes coudes sur le bois. Les yeux d'Hêphaistion analysaient tout ce qu'un bon cavalier doit reconnaitre chez une monture de qualité : les nasaux ouverts sur une tête portée haute, l'encolure ramassée qui gonfle le poitrail et relève le dos, la croupe large et charnue. Je me pris à espérer que l'étalon s'arrête pour admirer ses aplombs et ses pieds.
Il s'arrêta.
Son cercle le rapprocha de moi. Soudain, il freina dans la poussière ; retroussa les lèvres, coucha les oreilles en arrière ; puis, à la façon d'un taureau plus qu'un cheval, il se mit à gratter du sabot comme s'il menaçait de me charger.
— Herakleis ! s'écria Alexandros. Qu'est-ce qui te prend, bourrique ?
Térês me souffla qu'il valait mieux éviter le prince pendant ses colères, me suggéra d'un signe une retraite stratégique ; je décidai de suivre son conseil, avant qu'Alexandros ne s'étonne de l'hostilité de l'animal à mon égard. Il devait sentir la mort encore attachée à ma peau.
— Il sort d'où, ce cheval ?
Pour une fois, les babillages de Térês me servirent : Alexandros l'avait remporté en pariant contre son père ! Le roi Philippos avait cru l'animal indomptable, mais le prince avait réussi non seulement à rester sur son dos, mais aussi à galoper à une vitesse qui avait ébahi la foule...
— Le roi était si fier, conclut Térês, il a reconnu publiquement que c'était un exploit et il a même donné un banquet en l'honneur de son fils !
Une fois de plus, mon compagnon d'infortune parlait beaucoup trop.
— Pourrais tu te taire un moment, je te prie ? J'ai mal au crâne.
Il acquiesça.
Et ajouta, aussitôt :
— Il fait trop chaud, ici ! Allons-nous mettre au frais : je connais l'endroit parfait !
***
Nous nous étions repliés dans la bibliothèque lorsqu'Alexandros nous rejoignit.
J'écoutais Térês, allongé sur une couchette ; assis près de mes chevilles croisées, il me lisait un passage de l'Ilias [1]. N'ayant appris à lire qu'à son arrivée en Makedonia, il butait sur les mots... mais moi, je n'étais pas certain de mieux faire. Ma mère m'avait enseigné quelques rudiments alors qu'Hêphaistion, lui, avait bénéficié d'une éducation soignée. Des bribes du texte me revenaient avant même que Térês les prononce...
Si je m'essayais à la lecture, lequel de nous deux l'emporterait ? Hêphaistion ou moi ? Si je me révélais illettré, je ne pouvais laisser les autres le découvrir.
— Qu'est-ce que cette horreur ?
La voix d'Alexandros stoppa net le cours de mes pensées. Térês lui jeta un regard de lapin effrayé avant de bégayer qu'il me lisait le dix-huitième chant de l'Ilias, celui de l'annonce au héros Akhilleus de la mort de son amant Patroklos.

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La Flèche d'Artémis
FantasyAlexandre, fils de Zeus, est destiné à vaincre au nom de l'Olympe. Orestis, fils de personne, n'est que l'assassin qu'on a privé de nom. Sous l'identité d'Hêphaistion, un jeune noble désargenté dont il a pris la vie, il devra tout faire pour que le...