Cette nuit-là, un rêve me visita.
Je devais avoir neuf ou dix ans. Je me trouvais loin de chez moi, dans un lieu indéterminé, antique, aux colonnes hautes et au pavement aussi vieux que notre pays. Tout était remplis de musique et de bruits de foule : un festival. Je me tenais dans un odéon où se déroulait une compétition pour garçons. Devais-je y participer ? Impossible de m'en souvenir. Il faisait grand soleil.
Un garçon plus jeune et plus petit que moi était debout sur la scène une belle lyre en carapace de tortue dans les mains. La foule ne l'impressionnait pas ; pourtant il y avait du monde : des têtes, nombreuses et floues, qui n'avaient pas de visage lorsque mon attention se posait sur elles.
Il joua, il chanta. Un enchantement ! Il aurait pu être Apollôn ou Orpheus, mon cœur se serait moins ému. Alexandros, formai-je avec mes lèvres. Quand je laissais tomber mes paupières, son image dorée s'y incrustait. Elle me réchauffait comme le lait au miel que me préparait ma mère, quand la maladie me clouait au lit.
L'instant d'après, j'inspectai mes mains : elles avaient la pâleur d'Orestis. J'avais fait une sorte de pas de côté étrange et me retrouvais assis près d'Hêphaistion, avec sa belle peau sombre et ses cils immenses, son air béat et ses lèvres entrouvertes.
— Hêphé ? demandai-je une fois le chant d'Alexandros achevé.
Il se tourna vers moi. Notre présence côte à côte me perturbait. M'envoyait-on un rêve pour me révéler quelque chose d'essentiel à notre nature ? Ou n'était-ce que mon esprit angoissé qui divaguait ?
— Tu avais rencontré Alexandros, avant ?
Lors d'un grand festival, à Aigai, l'antique capitale de Makedon ? Ou au sanctuaire de Dion ? Je me souvenais qu'Hêphaistion s'y était déjà rendu.
— Tu...
Je n'osais le prononcer.
— Tu l'aimais ? Quand tu es parti de chez toi pour Pella, tu aimais déjà Alexandros ?
C'était stupide. Ils ne s'étaient jamais parlé ! Pouvait-on s'attacher à ce point à quelqu'un, juste parce qu'on l'a entendu chanter et jouer de la harpe ? Il aurait fallu...
Il aurait fallu qu'un dieu s'y penche, décoche un trait cruel, barbelé, qu'on ne pourra jamais retirer sans se déchiqueter.
Et si Hêphé était mort le cœur déjà perdu... le besoin horrible que j'avais d'être près d'Alexandros, de qui me venait-il ?

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La Flèche d'Artémis
FantasiAlexandre, fils de Zeus, est destiné à vaincre au nom de l'Olympe. Orestis, fils de personne, n'est que l'assassin qu'on a privé de nom. Sous l'identité d'Hêphaistion, un jeune noble désargenté dont il a pris la vie, il devra tout faire pour que le...