Je n'eus guère l'occasion de fréquenter Alexandros de tout le jour. Il commandait un petit groupe de cavaliers chargés d'encadrer les captives alors que, avec les autres pages, je chevauchais dans l'entourage immédiat du roi. Cela me laissa le temps de ressasser ; le soir venu, lorsque je pus enfin retourner à notre chariot, un soir humide traversé par un vent coupant avait englouti tout le camp.
Je me retrouvai vite seul à longer le flanc du véhicule. Loin, devant, ceux qui le partageaient avec Alexandros et moi piétinaient autour d'un feu souffreteux ; je tendis l'oreille, plus que je ne l'aurai dû, lorsque m'effleurèrent des paroles basses que la cloison de bois aurait dû rendre inaudible.
— ... et je pense que tu devrais arrêter de le fréquenter.
Je m'arrêtai à hauteur de roue. C'était la voix de Kleitos, et celle d'Alexandros lui répondit, maussade.
— Je pensais que vous seriez tous enchanté que j'ai enfin trouvé quelqu'un.
— Il te traite mal, rétorqua Kleitos. Tu t'en rends compte, au moins ?
— C'est son caractère. Il n'est pas chaleureux.
— Il a l'air suffisamment chaleureux avec ton cheval, m'est avis. S'il ne l'est pas avec toi, c'est qu'il n'en a pas envie.
— Tu ne le connais pas. Ça lui arrive d'être gentil.
— Alekos... c'est pas censé être ça, l'amour. C'est pas espérer que de temps en temps, il soit gentil avec toi alors que le reste du temps, il te traite comme un chien.
— Il a ses raisons.
— Quoi, Térês ? C'est pas une raison.
— Si.
Un silence, long et ponctué de quelques gouttes de pluie froide, sur le bois des chariots et dans mes cheveux.
— Je n'aurais pas dû, continua Alexandros, la voix tremblante. C'était une horrible erreur, je craignais d'avoir l'air d'un lâche, je craignais que...
— Tu n'es pas un lâche, intervint Kleitos. Tu n'as peut-être pas combattu en première ligne face aux Maidoi, mais tu sais combien de garçons de seize ans se seraient pissé dessus ?
— C'est toi qui a commandé.
— C'est faux. Nous avons commandé, ensemble, et c'est toi qui a dirigé les sacrifices et requis l'aide des dieux... qu'ils t'ont accordée. Que l'exécution de Térês ait été une erreur ou pas, les dieux t'ont donné raison. C'était horrible, je suis bien d'accord – ce gamin, t'avais vécu avec, tous les jours pendant deux ans. Mais des gamins, y'en a des centaines, peut-être même des milliers qui vont mourir par ta faute, tout comme il y en a des tas qui sont morts sous le commandement de ton père et des rois qui vous ont précédés. C'est ça, porter le diadème : tu vas devoir condamner des gens. Parfois, tu vas te planter, parfois, ce sera des gens que tu apprécies. Il faut que tu apprennes à passer outre, et ton Hêphaistion, il va devoir apprendre aussi, et s'il n'en est pas capable, alors il n'a rien à faire à être le compagnon d'un roi. Il va aussi devoir comprendre que ses problèmes ne représentent rien comparés à tes problèmes, et que tes problèmes ne sont rien comparés à ceux de Makedon.
Un court silence, et il reprit :
— Qu'est-ce qui te faisait croire que tu étais lâche ? T'as jamais bronché, ni à l'entrainement, ni à la chasse.
— Perdikkas...
Son oncle, le père d'Amyntas.
— ... il y a des gens qui prétendent que je lui ressemble. Que j'ai le nez dans les livres, comme lui, que je suis froid... que je ne ressemble pas à mon père.

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La Flèche d'Artémis
FantasíaAlexandre, fils de Zeus, est destiné à vaincre au nom de l'Olympe. Orestis, fils de personne, n'est que l'assassin qu'on a privé de nom. Sous l'identité d'Hêphaistion, un jeune noble désargenté dont il a pris la vie, il devra tout faire pour que le...