Livre II - Chapitre 10 (8)

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Ma main se serra sur la poignée de mon épée même si, en réalité, je ne savais plus très bien ce que je voulais en faire.

— Pourquoi as-tu fait ça ? demandai-je. Pourquoi infliger ça aux femmes scythes si leur sort t'importe ?

Et pourquoi est-ce que ça lui importait, à lui, alors que Pausanias et Alexandros s'en fichaient éperdument ?

Philippos se détacha de la balustrade, avança vers moi, le regard violacé, étrangement brillant.

— C'est pour cela que tu comptais tenter de me tuer ?

— J'aurais réussi... si j'étais venu pour cela.

Il me répondit d'un petit rire moqueur.

— Tu n'es vraiment pas aussi malin que tu le penses.

Un calme étrange régnait tout autour de nous – plus de pleurs, plus de fête, plus de musique. Même les mouettes du port s'étaient tues.

— Notre maître ne t'aurait pas laissé me blesser. Tu n'aurais fait qu'attirer sa colère sur toi.

Il tendit la main vers mon arme. Je ne sais pourquoi je le laissai faire – il se tenait trop près de moi et, engourdi, je ne pouvais que le regarder détacher mes doigts, un à un, du manche de bois poli.

— Je n'étais pas venu pour cela, mentis-je, pâteux.

Mes propres mots me parvenaient comme à travers un épais mur d'eau, et j'avais sur la langue la sensation épaisse qu'y laisse un vin trop lourd.

— Dis-moi, mon garçon : qu'ai-je fait pour mériter ton hostilité ? Ce n'est pas la première fois que tu as des pensées meurtrières à mon égard.

Pourquoi l'avais-je laissé me désarmer ?

— Je pensais que tu avais tué mon père, avouai-je malgré moi.

— Je suis responsable de la mort de beaucoup de gens, oui, constata-t-il tout en cherchant son reflet sur le plat de ma lame.

— Mais pas de celle mon père, ajoutai-je avec un ricanement nerveux. Je me suis trompé.

— Ravi de l'apprendre.

— Mais ce que tu as fait à ces femmes...

— Rien de plus que ce que les hommes comme moi leur font, précisa-t-il en relevant son œil pourpre vers moi, depuis des siècles et des siècles. Et tu sais pourquoi ?

Il posa une main sur le mur, juste à côté de ma tête, et se pencha vers moi, proche, si proche que je pouvais goûter le parfum de Dionysos sur ma langue.

— Parce que ce monde, mon cher, mon horrible garçon, est un immense flot de merde. Tu peux tenter de le changer, d'aller contre l'affreuse nature humaine... J'ai vu des hommes essayer – tu sais comment ils ont fini ? Tu sais ce qu'il reste de leurs rêves ? Rien, parce qu'aucun homme ne peut espérer endiguer ce flot à moins de posséder un pouvoir immense... et toi ? Qu'est-ce que tu crois être pour me faire la morale, petit ? Tu te prends pour la seule fleur sur le tas de fumier, peut-être, alors que tu empestes la mort ? Est-ce tu m'entends te demander ce que tu étais avant d'usurper le nom de ce pauvre Hêphaistion ?

Je baissai la tête – il me saisit le menton et me força à relever les yeux pour affronter son regard.

— Ne te méprends pas sur ce que nous sommes. Nous sommes des pions, tous les deux. Nous ne sommes là que pour permettre l'ascension d'Alexandros... et pour ça je commettrai toutes les bassesses, tu comprends ? J'élèverai pour lui le plus grand bûcher qu'Hellas ait jamais connu. Il n'aura qu'à y jeter la torche pour tout brûler et créer un nouveau monde. Un monde plus beau où les plus faibles ne seront plus à la merci des plus méchants.

La Flèche d'ArtémisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant