Livre IV - Chapitre 24 (3)

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Je l'écartai, lentement.

Ce n'était pas possible. De toutes les personnes du monde qui pouvait espérer une réponse, Alexandros arrivait parmi les premières. J'avais cru, sans doute plus que lui-même, que Zeus lui répondrait.

Ce n'était pas possible, et c'était injuste.

— Il doit y avoir une erreur.

— Je suis sûr que non.

— Si. Viens, nous allons consulter ailleurs.

— Mais ? s'emporta Alexandros. Dodonê est l'oracle le plus sacré, le plus ancien de Zeus. S'il a refusé de s'adresser à moi sous les chênes, crois-tu vraiment qu'il me parlera ailleurs ?

— Je vais demander à Hermês, répondis-je.

— Et si je m'étais trompé ? Si Perdikkas avait menti ? Si j'étais juste... Alexandros ? Bâtard d'on ne sait qui ?

Je lui pris les épaules, d'une poigne ferme que j'espérais rassurante.

— Tu n'es pas le bâtard d'on ne sait qui, rétorquai-je. Tu es le fils légitime de Philippos. Et tu as l'odeur d'un demi-dieu, une odeur proche de celle d'Hermês. Philippos t'a dit que tu ressemblais à ton frère, te souviens-tu ? Il ne parlait pas d'Arrhidaios mais d'Hermês.

— Pourquoi ne m'en as-tu pas parlé avant ?

— Parce que tu étais déjà convaincu. Viens : nous devons être à la statue au croisement avant que les pèlerins reprennent la route.

Nous n'avions pas le temps de repasser à la tente. Le croisement se trouvait à dix ou onze stades [1] du village, que nous avalâmes au rythme de mes grandes enjambées. Les rayons d'Hélios percèrent le ciel au-dessus des montagnes ; je sentais toujours la présence d'Hêphaistion, diffuse, mais on ne le distinguait plus à nos côtés.

La statue était une borne commune : un pilier rectangulaire, haut comme un homme, qui se terminait avec une rare représentation d'Hermês barbu.

Après un baiser soufflé vers la statue, j'entamai, les paumes tournées vers les cieux :

— Hermês, Messager Divin, Messager Béni, Patron des Voyageurs, Berger des âmes, écoutez-moi ! Moi, Orestis Nikaias, j'en appelle à vous en mémoire de vos secours passés, au souterrain domaine des songes et des morts. Souvenez-vous, Fils de Maïa, du soutien que j'ai apporté à vos entreprises, quand au prix de ma vie j'ai accompli vos volontés ! Si jamais vous vous rappelez de moi en bien, venez à mon aide, parce que vous en avez le pouvoir : nous vous offriront un beau bélier, si vous acceptez de nous apparaitre.

J'abaissai les mains. L'une d'elle retomba près de celle d'Alexandros ; je la sentis frémir, même si son visage s'était vidé pour se muer en un bouclier neutre, respectueux, jeté par-dessus la colère et la détresse.

Tout ça pour ça, tout ça pour rien.

Et puis le goût de lait, sur ma langue, et le miel...

Un rayon d'Hélios scintilla dans l'air chargé d'insectes, de pollen et de la poussière qui nait de la terre séchée par l'été. Il nous aveugla un instant. Au suivant, la silhouette était là, appuyée avec nonchalance contre le pilier de pierre, ses boucles couleur de blé mûr couvertes par le chapeau mou des bergers, la houlette coincée sous le bras.

— Tiens, bon matin, mon petit chasseur !

— Hermês, le saluai-je en inclinant la tête et en portant les doigts à mes lèvres.

Alexandros m'imita, sans rien dire.

— Pourquoi tant d'urgence, Fils de Nikaia ? Quel malheur vous frappe encore ?

La Flèche d'ArtémisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant