J'étais plongé dans la plus grande perplexité.
En me levant, ce matin-là, je butai, dans mes affaires, sur le tesson de Pausanias. Je ne le déballai pas ; je ne le sortis même pas du sac. Le simple rappel de son existence m'empêchait d'enterrer le rêve qui m'avait visité ou d'ignorer mon obsession pour Alexandros.
Je repensai à Philippos, jeune, seul et déterminé à trouver un amour total qui, visiblement, avait refusé de se présenter. Je repensai à Pausanias qui, intéressé et frivole, était pourtant torturé par l'indifférence de son amant. Et je repensai à Hêphaistion, obsédé à l'idée d'atteindre Alexandros, au point de dédier toute sa vie et ses efforts à cet objectif : le rejoindre.
Et il y avait moi, incapable de faire autre chose que geindre.
Je passai la matinée incapable de me concentrer. J'avais décidé d'agir sans savoir où je souhaitais me rendre : étais-je destiné à être aimé d'Alexandros ? Ou cet honneur avait-il toujours appartenu à Hêphé ? Quel droit avais-je d'accepter l'affection d'Alexandros, s'il ne me l'accordait que par erreur ? S'il était destiné à aimer Hêphaistion... pouvait-on tromper le destin, en donnant le nom et le visage de l'amant prédestiné à un autre ?
À midi, tout en mâchant mes galettes, j'arrivai à la conclusion qu'il était temps que je lui parle d'Hêphé. Je demandai donc l'autorisation de quitter mon poste, à Philippos lui-même, qui m'accordait à peu près tout ce que je voulais dès lors que je le lui demandai poliment, et remontai le convoi jusqu'à retrouver la bande de Mieza. Ils m'accueillirent avec les mêmes regards que lorsque Pausanias était revenu, la queue entre les pattes. Je leur demandai où trouver Alexandros ; ils me répondirent et, en partant, j'aiguisai mon ouïe et les entendis dire :
— Je suis sûr que ce n'est pas vrai. Pas son genre.
— Franchement j'crois qu'il cache juste bien son jeu, il suffit d'avoir entendu les saloperies qu'il a sorties sur Hippostratos : il est pas du tout aussi prude qu'on le pensait.
— Non, tu crois ? Mais quand même, faudrait être un sacré connard pour faire ça à Alexandros et Pausanias.
— Ma Dia, crétin, pourquoi tu crois qu'Alexandros ne lui parle plus ? Et qu'il parle plus à son père ? C'est devenu le préféré de Philippos, c'est évident.
Je résistai à l'envie de revenir sur mes pas pour les gifler et leur que non, évidemment, Philippos ne ferait jamais cela à son fils. Pour cela, j'aurais dû admettre que mon ouïe était inhumainement développée.
Je retrouvai Alexandros assis sur le tronc d'un arbre tombé, occupé à lire – il n'y avait bien que lui pour faire ce genre de choses en milieu de marche.
— Qu'est-ce que tu lis ?
Il ne bougea pas, pas du tout, pas même pour me regarder.
— Le passage où Agamemnon vole la captive d'Akhilleus.
Il y avait un sous-entendu à comprendre, je pense, que je ne fis pas l'effort de saisir au vol. Son livre ne m'intéressait pas : j'avais des choses si graves à lui partager qu'un troupeau de ménades déchaînées aurait pu passer sans que je leur prête attention.
Enfin, il cracha :
— Il a décidé qu'il n'avait plus besoin de toi, finalement ?
— Je voulais te voir.
— Il t'a fait des avances ?
C'était ridicule, même avec les rumeurs que les autres faisaient courir sur mon compte – j'étais surpris qu'ils disent cela de moi, et en même temps, les connaissant, j'aurais dû m'y attendre.
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La Flèche d'Artémis
FantasyAlexandre, fils de Zeus, est destiné à vaincre au nom de l'Olympe. Orestis, fils de personne, n'est que l'assassin qu'on a privé de nom. Sous l'identité d'Hêphaistion, un jeune noble désargenté dont il a pris la vie, il devra tout faire pour que le...