Livre II - Chapitre 14 (3)

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Un frisson me parcourut le corps. Alexandros respirait calmement, à ma gauche ; comme d'habitude, j'avais pris la place la plus proche de la cloison de toile. Les autres pages dormaient de l'autre côté du prince : Pausanias, Néarkhos, Perdikkas et trois autres qui partageaient notre tente, aussi serrés que possible avec nos armures sur le dos. Perdikkas ronflait. J'ouvris mon ouïe à tous les bruits de la nuit jusqu'à ce que ceux de mon camarade deviennent à peine supportables.

Là.

Des pas.

Rien d'inhabituel – les gardes faisaient des rondes, et à plus forte raison ici, au cœur du camp, à moins d'une portée de javelot du pavillon royal.

On murmurait. Mon cœur accéléra. Allez-vous-en. Mon rêve me collait à l'âme, les yeux vides de Philippos et l'avertissement d'Hermês. Le roi était-il mort ? Fallait-il que je réveille Alexandros pour qu'il soit le premier au chevet de son cadavre ?

Les chuchotements ne cessaient pas. Ils se rapprochèrent de l'entrée du pavillon. Allez-vous-en ! Ils avaient échangé les bons mots de passe avec les gardes et entraient dans l'antichambre.

Les pas ralentirent, s'arrêtèrent devant le rideau qui marquait l'entrée de notre dortoir. Les cœurs battaient vite dans les poitrines. Je n'aimais pas ça ; je n'aurai su dire pourquoi, mais je récupérai, lentement et en silence, ma dague sous le barda qui me servait d'oreiller. J'appelai l'argent de mes yeux ; puis, je me recouchai, les paupières abaissées, ne laissant qu'un mince interstice pour surveiller l'entrée.

Eux n'avaient pas de vision nocturne. L'un d'eux tenait une lampe dont la lueur glissait entre la toile et le sol, comme un fil doré, et qui pénétra timidement à travers le rideau qu'on soulevait. Ils tentaient de faire entrer aussi peu de lumière que possible, et cela attisa ma méfiance : s'ils étaient des messagers venus annoncer la mort du roi, pourquoi tant de précautions pour ne réveiller personne ?

Une silhouette entra. Lente, silencieuse, le poignard à la main.

J'attendis qu'il dépasse Perdikkas, Néarkhos et Pausanias avant de jaillir de ma couche. Moi aussi, j'étais silencieux – mais pas lent, non. Inhumainement rapide, je fus sur lui en un éclair de lame et d'iris argentées, ma dague lacérant la cuisse avant de remonter pour s'enfoncer dans la gorge.

Je poussai pour me mettre débout. Il avait émis un cri quand je l'avais taillé, qui se mua en gargouillis noyé par ce que ses veines déversaient dans sa trachée. Je sentis Alexandros bondir dans mon dos et les autres s'agiter ; l'homme à la lampe, figé, me jetait un regard d'effroi.

Mes yeux.

Et dans les siens, je lus, en trois battements de cœur : il m'a vu. Il a vu mon visage. La compréhension qu'il n'y aurait pas d'échappatoire.

Il jeta sa lampe sur Pausanias qui se hissait sur un coude et plongea vers Alexandros, la dague levée – la mienne glissa sur son armure alors que je l'arrêtai d'un coup d'épaule.

Rien qu'un léger contretemps.

Je remontai ma lame, de sa cuisse vers l'aine, la fis passer entre les lamelles qui protégeait la chair, plus bas que la cuirasse. Le couteau s'enfonça, trancha, et le sang chaud jaillit de la grosse veine de la jambe sur ma main.

Je le poussai. Il s'affala sous mon poids. La tente s'assombrit alors que je laissais mes yeux redevenir humains.

Pas étonnant qu'on l'ait laissé passer : c'était un des pages de Philippos, un des amis de Démêtrios à Mieza.

— Qui t'envoie ? grondai-je, la main toujours sur ma dague, ma dague toujours dans sa cuisse.

Il me répondit d'abord d'un regard haineux, puis d'un horrible sourire.

Ptolemaios.

— Qui d'autre ?

Il se mit à rire – un rire mou, de plus en plus lent à mesure que son sang détrempait ma main et mon pantalon thrace.

— Par... me...

Et il se tut ; sa tête roula sur le côté, sans que son sourire vicieux disparaisse complètement.


La Flèche d'ArtémisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant