Akhilleus
Un cri effrayant gronde parmi les Grecs.Klytaimêstra
Que dit-il ? parle donc.Akhilleus
Au sujet de ta fille... on veut qu'elle soit sacrifiée...Klytaimêstra
Et nul ne s'y oppose ?Akhilleus
Je fus moi-même pris dans le tumulte, et bien près d'être lapidé.Klytaimêstra
Parce que tu voulais la sauver ? Qui donc osa toucher à ta personne ?Akhilleus
Tous les Grecs.Klytaimêstra
Tes Myrmidons n'étaient pas là pour te défendre ?Akhilleus
Ils furent les premiers à se déclarer contre moi.— Euripide, Iphigénie à Aulis
***
Térês apprit la mort d'Euboulos trois jours après l'assassinat. Il ne m'expliqua pas comment. Nous regardions les autres jouer à la balle, assis à l'ombre d'un arbre, quand il me demanda soudain :
— Quand tu es parti, le soir de la fête... tu es allé en ville ?
— Oui.
— Pour faire quoi ?
— Résoudre tes problèmes.
Je ne faisais que répéter mes paroles du soir. Qu'avait-il cru ? Que l'affaire se règlerait sans casser d'amphores ?
Il me répondit d'un long silence tout en ramenant ses genoux contre lui. Il baissa la tête ; malgré les longs cils qui couvrait ses yeux, j'aperçus une larme avant qu'il ne l'efface du dos de la main.
— Je ne comprends pas... comment ?
On devait avoir conclu à une mort naturelle pour qu'il me pose une telle question.
— Tu ne veux pas le savoir, l'assurai-je.
— Tu as tué la seule personne qui m'aimait à Pella.
Je ne compris pas, d'abord, pourquoi sa réponse me blessa : comment pouvait-il dire que personne ne l'aimait ? Ne voyait-il donc pas que je me démenais pour lui ?
Je restai coi tout en me détournant de Térês pour observer les compagnons d'Alexandros. Leurs rires, leur camaraderie, leurs jeux brutaux et honnêtes. Et alors, j'effleurai l'horrible vérité : à Pella, personne ne m'aimait à part Térês. Alexandros me portait un peu d'intérêt, mais il ne me connaissait pas, et on ne peut aimer une personne dont on ignore absolument tout. Si Térês commençait à me haïr...
Pourquoi est-ce que cela m'importait ? Ni ma mère, ni Artémis, ni les prêtresses du Dieu au Faux Visage ne m'avaient envoyée ici pour que je me fasse des amis !
Mais, ah – Hêphaistion, lui, l'avait espéré de tout son cœur. Il n'avait jamais voulu être au-dessus de tout, détaché de tout, et son rire aurait dû réchauffer le monde.
— Tu te trompes, dis-je enfin à l'adolescent assis à mes côtés. Je ne sais pas ce qu'Euboulos ressentait à ton sujet, mais moi, j'ai de l'affection pour toi.
Il sourit, d'un sourire plus triste qu'heureux... Je ne me rendais pas compte de l'horreur qu'il devait éprouver à mes côtés : que reste-t-il, quand on découvre que l'ami espéré n'est qu'un monstre ?
Peut-être, voyageur, aurions-nous tous moins souffert si j'avais exécuté Térês à Mieza, lorsque nos cœurs restaient sans attaches...
Sur le moment, cependant, je ne ressentis que de l'irritation et un début d'abattement. L'assassinat d'Euboulos n'avait servi à rien. À quoi bon lutter ? Ma maîtresse commandant bien des agents à Pella. Le couperet tomberait vite, car Kotus devait se révolter avant que l'hiver ne s'abatte sur les vallées où vivait son peuple... ne serait-ce pas plus simple d'obéir, au lieu de me mettre ma supérieure à dos ?
J'aurai pu demander à Térês des explications sur la course-aux-flambeaux. Il suffirait qu'il me confirme son statut d'homme pour que tombe l'interdit d'Artémis. Mon cœur se souleva à l'idée de l'abandonner à son sort. À présent que je m'étais avoué que je ressentais de l'affection, je me retrouvai victime de cette faiblesse, incapable d'accepter de le perdre.
Et pourtant...
Il ne pouvait mourir de ma main, il ne pouvait rester sans périr de celle d'un autre : il fallait donc que je le fasse évader. La cause de guerre serait toute trouvée, car la fuite d'un otage signifiait la fin d'une trêve. Je me priverai de Térês, mais ma solitude ne pesait pas lourd dans la balance.
Ce serait moins douloureux que sa mort.
La nuit suivante, le sommeil tarda. Je réfléchissais à ce qu'il me faudrait accomplir, et obtenir pour que Térês puisse quitter Pella. Un cheval... non, deux, afin qu'il en change en chemin. De la nourriture. Une arme. Je connaissais déjà les rondes des gardes. Une corde pour passer par-dessus la muraille, puisque Térês ne pouvait l'escalader aussi facilement que moi...
***
Je m'assoupis enfin. En songe, Philippos levait la main d'Alexandros vers les cieux ; la foudre s'abattait sur les montagnes qui barraient l'horizon ; le roi avait encore ses deux yeux, mais celui qu'il avait perdu à la guerre brillait d'une lueur pourpre.
Je parvins enfin à me détourner de son regard, d'un magnétisme effrayant – et, me retournant, me retrouvait face à face avec lui. Tout paraissait gris autours de nous ; les feuilles de lierre de sa couronne dorée respiraient. Mon instinct me cria de fuir. Trop tard : ses mains se saisirent de ma mâchoire avec une invincible douceur.
— Qui es-tu ?
J'essayai de me débattre, de l'écarter. J'aurai tout aussi bien pu tenter de déplacer une montagne ; des mèches d'un blond argenté me tombèrent devant les yeux.
J'avais repris mon apparence, celle d'Orestis à la peau pâle et aux yeux couleurs d'eau.
— Où t'ai-je déjà vu ?
Je lui attrapai les poignets. La fête continuait autour de nous, flou de corps et de tissus, de parfums et de musiques lointaines et distordues.
Impossible de lui faire lâcher mon visage, même en enfonçant mes ongles de toutes mes forces. Il ne fit que claquer de la langue en souriant.
— Allons, ne me force pas à te faire mal...
Mais alors, sa voix se mua en tonnerre grondant, et elle me fracassa lorsqu'il ajouta :
— Que veux-tu à Alexandros ? J'ai senti ton odeur sur lui ! REPONDS !
Mes mains volèrent sur mes oreilles. Je me recroquevillai, hébété, avant de bégayer malgré moi : le protéger ! Je veux juste le protéger ! Sur ma vie, je le jure !
— Qui t'envoie ?
L'air sentait le vin, le miel et le sang, et l'ombre de Philippos dansait sur le plafond, multipliée par les brasiers, surmontée de cornes de taureaux. Son odeur m'enivrait. Avais-je bu ? Ma raison se déroulait en fils éparses et désordonnés. Je ne rêvais pas, j'en étais certain.
Une telle puissance ne pouvais appartenir qu'à un dieu.
— Seigneur, murmurai-je, mes joues diaphanes mouillées de larmes, Deux-fois-nés, Rugissant, n'est-ce pas vous qui m'avez offert à Alexandros ?
Et ce qu'il restait de moi suppliait : pitié, prenez-moi ou laissez-moi allez, mais ne...
Ses doigts s'ouvrirent, et les ténèbres d'un repos sans rêves m'engloutirent.
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La Flèche d'Artémis
FantasíaAlexandre, fils de Zeus, est destiné à vaincre au nom de l'Olympe. Orestis, fils de personne, n'est que l'assassin qu'on a privé de nom. Sous l'identité d'Hêphaistion, un jeune noble désargenté dont il a pris la vie, il devra tout faire pour que le...